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affirmation, — « Mon Dieu, Mesdames, dans l’état actuel de la connaissance, il y aurait peut-être quelque chance pour qu’une chose fût, ou tout au moins parût, je ne dirai point certaine, mais assez probable. — Et laquelle ? — C’est que Monaco fut d’abord une colonie phénicienne. Oui : Hercule Monoikos, qui n’a qu’une demeure. » — Et là-dessus la musique, la vraie, recommença.

Plutôt qu’un salon, c’était presqu’un sanctuaire, intime et caché, qui s’ouvrait au rez-de-chaussée du castelet de Cabrières : une salle aux voûtes surbaissées mais élégantes, blanches d’une blancheur d’ivoire, avec des nervures nouées à leur sommet par une rosace d’or pâli. Des meubles anciens luisaient dans l’ombre : bahuts de bois noir, décorés aussi d’arabesques d’or, présents de noces jadis offerts à des aïeules depuis longtemps endormies dans le Seigneur. J’ai passé là plus d’un soir : soirs de Provence, d’été, de musique, sous le charme de mon hôte vénérable et délicieux. Quelle paix, quel repos j’ai trouvé près de vous, Éminence ! En vous, quel artiste et quel auditeur ! Souffrez que je n’écrive pas : quel élève ! comme il vous plaisait de le dire avec une malicieuse humilité. Bien vieux était votre piano, le piano maternel. Mais sa vieillesse gardait, ainsi que la vôtre, une exquise fraîcheur. Vous nous racontiez son passé lointain. Sous mes doigts il le racontait aussi, d’une autre manière. Il n’avait pas oublié les mélodies de son âge. Et les jeunes harmonies elles-mêmes, à lui, pas plus qu’à vous, ne faisaient peur. Il les traduisait et vous les compreniez. Souvent, trop souvent, il m’arriva naguère de jouer « dans le monde, » et de m’en repentir. Mais devant le Cardinal de Cabrières et pour lui, ce me fut un honneur, une joie, dont je ne perdrai jamais la mémoire.

Musique de Provence, voix de la terre et de la mer latine, j’en retrouverais encore et toujours des échos. Naguère, pendant tout un été, j’eus pour demeure un des navires de notre escadre de la Méditerranée. L’ami qui le commandait m’avait pris avec lui. Chaque fois que je me rappelle cette « campagne, » des sonorités, mêlées à des visions, me redeviennent présentes. Sans parler des mille chansons des eaux, tout, dans la vie du bord, est musique. Rares sont les moments d’absolu silence et l’on peut, d’heure en heure, entendre passer le temps. Matin et soir, deux coups de fusil, une sonnerie de clairons salue les