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pour eux que des louanges, et des critiques pour lui ! « Me demandez-vous raison, » lui dis-je, « ou mes raisons ? » Avant d’être ténor. il avait été maitre d’armes. Il choisit nonobstant « raisons, » au pluriel. Elles étaient nombreuses. Je les lui donnai toutes, mais je n’arrivai point à le convaincre.

Et maintenant, maintenant... Edouard est mort pendant la guerre, et de la guerre, en son pays encore esclave. Jean porte sans faiblesse le poids d’une paternelle et glorieuse douleur. En le revoyant un jour de l’an passé, pourquoi me suis-je rappelé, de si loin, le jeune cavalier en manteau noir ! Mais ce deuil-là n’était que de théâtre. Hélas ! encore mieux que le poète, celui qui fut Roméo pourrait dire aujourd’hui :


Mes yeux ont contemplé des objets plus funèbres
Que Juliette morte au fond de son tombeau.
………..


Parmi les amitiés artistiques, ou littéraires, ou mondaines seulement, qui furent miennes, il en est peu dont la musique n’ait pas été, sinon l’ouvrière, au moins la compagne. Consolatrice même, elle a su quelquefois atténuer de cruelles douleurs ou charmer de longs ennuis. En ses heures de martyre, Alphonse Daudet appelait la musique à son secours. Il savait l’écouter et, lorsqu’elle s’était tue, c’était une musique pour moi de l’entendre parler d’elle. J’aimais, dans son appartement de la rue de Bellechasse, devant la fenêtre ouverte sur les jardins, nos tête-à-tête harmonieux. Jouée pour lui, par lui commentée, l’Arlésienne devenait encore plus belle, tant il y ajoutait de couleur et de poésie. Il me contait les origines du drame, l’espoir de Bizet et le sien, que l’événement avait trompé. « Le soir de la première représentation, me disait-il, nous étions tous deux cachés dans une loge. Notre œuvre sombrait, s’enfonçait devant nous et nous avions la sensation de nous noyer nous-mêmes, avec des colliers de pierreries autour du cou. »

Un non moins illustre auditeur me témoignait une égale indulgence. Grand artiste deux fois, sculpteur et peintre, Paul Dubois unissait à la maîtrise des formes plastiques l’intelligence et l’amour des formes sonores. Il m’avait prié de chercher un jeune musicien, de préférence un élève du Conservatoire, qui consentirait à lui consacrer une ou deux soirées par semaine. Je l’informai que j’avais trouvé. Au jour convenu, je me présentai