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SOUVENIRS DE MUSIQUE ET DE MUSICIENS

IV [1]
UN TRIO FRATERNEL.
SALONS ET SANCTUAIRES MUSICAUX

De même qu’il y a des frères d’armes, il existe aussi des frères d’art. Jean et Edouard de Reszké, pendant dix ans, ont été les miens. Pendant dix ans je leur ai dû mes plus grandes joies musicales. L’un ténor et l’autre basse, leurs talents étaient inégaux, comme leurs voix différentes, mais il n’y avait pas d’intervalle entre leurs cœurs. Au cours de leur fraternelle carrière, l’un ne connut pas plus l’orgueil que l’autre l’envie, et mon amitié, je me plaisais du moins à les en croire, ne fit qu’ajouter à leur mutuelle tendresse une troisième note, la note nécessaire à la perfection de l’accord.

L’éducation dont parlait Gounod, « l’éducation esthétique, » — et l’autre aussi, plus générale, — tous les deux l’avaient reçue d’abord, et puis, eux-mêmes, ils l’avaient achevée. Musicale était leur maison, comme la Pologne leur patrie. Musicienne leur mère, et leur sœur, dont l’Opéra garde le souvenir. Artistes de naissance et par vocation, tous deux semblaient des gentilshommes plutôt que des hommes de théâtre. Jamais en eux la dignité de la vie et. du caractère ne se ressentit, je ne dis pas des bassesses, mais des petitesses, ridicules ou travers, du métier.

C’est au printemps de 1885 qu’Edouard parut le premier à

  1. Voyez la Revue des 15 mai, 1er et 15 juin.