Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 64.djvu/619

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas absolument dans l’inconnu, du moins dans le « pas assez connu, » pas assez pour qu’on puisse établir les prévisions d’un budget de constructions navales, — aéro-navales, pour mieux dire, — qui ferait état des dirigeables et des grands aéroplanes, avions ou hydravions, à titre d’éléments constitutifs de la flotte française.

Entre les prévisions budgétaires, toutefois, et les prévisions sans épithète, celles des observateurs attentifs des progrès si rapides de la navigation aérienne, la différence est grande. Le jour où l’on a vu un dirigeable traverser l’Atlantique, tous les espoirs sont devenus légitimes et le doute n’a plus été raisonnablement permis que le grand aéronef à moteur ne se place, à bref délai, dans la classe la plus élevée des engins de guerre à facultés stratégiques.

Il n’entre d’ailleurs pas dans mes intentions de discuter ici sur le fond de la question si grave dont les Chambres devront entreprendre l’examen et de montrer par exemple — pour quoi faire ; n’est-ce pas assez évident ? — qu’au moment où les concepts généraux de guerre maritime, déjà si profondément atteints par le développement du rôle des engins sous-marins, vont l’être plus encore, suivant toute apparence, par l’entrée en ligne et l’essor rapide des grands appareils aériens, il faut s’habituer à l’idée de modifications essentielles, capitales, du type de bâtiment de surface, noyau solide de la « Force navale, » l’unité de combat, le dreadnought, dont nous parlions tout à l’heure.

Malheureuse victime, pourrait-on dire de ce dreadnought, s’il était permis de railler sur un tel sujet, malheureuse victime des incessants progrès des armes offensives ! Il y a peu d’années encore et jusqu’au 22 septembre 1914 [1], en fait, le grand cuirassé semblait n’avoir à se préoccuper que du canon, et il se jugeait suffisamment défendu par sa cuirasse d’acier contre les projectiles les plus puissants. Il y avait bien déjà la torpille automobile et les mines, mais le dreadnought pensait avoir assez fait en tenant à distance les véhicules, — de surface ou de plongée, — de la première, dont la trajectoire lui apparaissait d’ailleurs aussi capricieuse que brève ; et quant aux mines, n’était-il pas interdit de s’en servir autrement que pour la défense immédiate des chenaux des ports ?

  1. Date de la destruction des trois croiseurs cuirassés anglais, Hogue, Cressy, Aboukir, par un seul sous-marin allemand.