Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 64.djvu/611

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ou à rester en panne. Quelques bâtiments de notre escadrille mouillèrent dans la baie de Funchal pour faire des vivres et de l’eau.

Le 27. C’est le matin que nous nous trouvâmes passer les Canaries. Le brouillard était tellement épais que nous ne pûmes voir le pic de Ténériffe, bien qu’on nous montrât dans quelle direction il était.

Le 29, nous passâmes le Tropique du Cancer. Nous vîmes beaucoup de poissons volants.

Le 31, à une heure assez avancée de la soirée, un homme tomba ou se jeta à la mer. Au même instant on mit en panne ; des canots furent mis à la mer, des lances furent allumées ; des cris lointains se faisaient entendre de moment en moment. Cette scène qui n’était éclairée que par les feux blanchâtres des lances porta l’effroi dans tous les cœurs. L’obscurité était si grande qu’on ne put parvenir à retrouver le malheureux.

Le 9 septembre. L’Empereur dicte à M. de Las Cases quelques parties du siège de Toulon.

Du 19 au 22, Sa Majesté dicte sur ses campagnes d’Italie.

Le 23, passage de la Ligne. Dès le matin, les matelots firent les préparatifs de cette cérémonie. Tout étant disposé, un matelot, transformé en un Neptune grotesque, est roulé sur une espèce de chariot (affût de canon) ; il est escorté de sauvages. Arrivé dans la partie du pont qui est entre le mât d’artimon et le grand mât, Neptune adresse la parole au commandant du vaisseau, et l’invite à faire comparaître devant lui, dieu des mers, tous ceux qui n’ont pas encore satisfait aux lois de son empire, etc. Alors tous les hommes qui n’ont pas encore passé la Ligne sont poursuivis par les satellites du dieu, qui les font monter l’un après l’autre sur une espèce d’échafaudage où est disposé un siège, sur lequel on assied le patient, auquel les exécuteurs de la suite du dieu barbouillent de goudron le menton et la figure. Un autre exécuteur s’approche, armé d’un rasoir en bois de deux pieds de long, à lame dentelée comme une scie, et racle assez lourdement les joues et le menton de l’initié. Après cette opération, celui-ci est culbuté dans un grand canot rempli d’eau qui est derrière lui. Les récalcitrants sont les moins ménagés ; personne n’est exempt, pas même les officiers, pas même le capitaine du vaisseau. Pendant tout le temps qu’a duré la cérémonie, tout à bord était dans la plus