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du Northumberland. Il était accompagné du Grand-Maréchal et des trois autres personnes qui avaient été désignées pour le suivre. Plus d’une larme coula des yeux de ceux des nôtres, généraux, officiers et serviteurs, qui n’avaient pas été assez heureux pour obtenir la faveur de suivre l’Empereur à Sainte-Hélène.

Quand M. Maingaud, jeune médecin qui avait été donné à l’Empereur par M. Corvisart, avait appris la déportation de Sa Majesté dans une île lointaine, il avait fait connaître son refus de faire le voyage, dominé probablement par la peur de perdre la vie dans une aussi longue traversée. Le docteur O’Meara, chirurgien du Bellérophon, à qui l’on avait fait la proposition de remplacer M. Maingaud, avait accepté l’emploi, après avoir obtenu l’assentiment et la permission de ses supérieurs.

Lorsque l’Empereur fut arrivé sur le pont du Northumberland, l’amiral Cockburn lui présenta deux Anglais de distinction, Lord Lowther et M. Littleton ; il causa longtemps avec eux, près des premiers canons à bâbord, ceux les plus rapprochés de la dunette.

L’embarquement étant terminé, on appareilla ; les deux Anglais prirent congé de l’Empereur et l’on mit à la voile pour Sainte-Hélène. Il pouvait être de trois à quatre heures.

L’amiral Cockburn qualifia l’Empereur de « Général » et « d’Excellence ; » mais cette manière de parler ne fut pas suivie par tous les autres Anglais, car, le lendemain matin, sir George Bingham, colonel du 53e, en me demandant des nouvelles de l’Empereur, me dit : « Comment se porte Sa Majesté ? »

Au diner, qui fut à cinq heures, je servis l’Empereur. L’amiral eut l’attention de lui offrir de tous les mets qui étaient sur table. Sa Majesté, peu après qu’on eût servi le dessert, se leva de table et elle alla se promener sur le pont, où le Grand-Maréchal et M. de Las Cases le suivirent. L’amiral et tous les Anglais se levèrent aussi et furent étonnés de cette disparition subite de l’Empereur ; mais ils se rassirent, quand on leur eût appris que l’habitude de Sa Majesté était de rester peu de temps à table. Ils continuèrent à manger leur dessert.

Ce qui venait d’avoir lieu à ce diner eut lieu tous les jours à ce repas ; seulement l’amiral avait soin de faire activer les premiers services et de faire tenir le café tout prêt dès que le dessert était servi.