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qu’à une boucle de ses bretelles était attaché un petit sachet soigneusement arrangé ; mais, en réfléchissant un peu, je me suis douté de ce qu’il pouvait contenir, par la précaution qu’il prenait de faire mettre ses bretelles sous sa main, pour ne pas être obligé de les chercher. Je me suis aperçu aussi qu’il avait autour des reins un cordon de soie dans lequel étaient bon nombre de corps durs, ayant au toucher la forme et la grosseur de noyaux d’abricots un peu allongés, que j’ai pensé avec raison être des diamants.

Quand, le matin, la calèche fut avancée au perron, je cherchai de tous mes yeux Amaudru ; mais, ne le voyant pas paraître, il n’y eut plus à douter qu’il n’eût abandonné l’Empereur. Je n’ai jamais pu me rendre compte de ce qui avait pu le déterminer à en user ainsi, lui qui avait constamment bien servi Sa Majesté et qui s’était montré plein de dévouement. Cette conduite d’Amaudru aurait pu avoir des conséquences très fâcheuses à Coignières, endroit si près de Versailles, et compromettre la sûreté de l’Empereur et même sa vie, puisqu’il avait fallu attendre un bon quart d’heure que les chevaux fussent attelés. Il m’a semblé qu’en nous quittant il avait la tète un tant soit peu échauffée par quelques verres de vin ou de liqueur. Santini fit le service de courrier ; mais j’avoue que je ne l’ai vu ni à cheval ni à pied à aucune poste depuis Rambouillet jusqu’à Rochefort.

L’Empereur, étant remis, partit vers les six heures du matin (30 juin). Beaucoup des habitants qui étaient en dehors des grilles firent entendre au départ de la voiture des cris de : « Vive l’Empereur ! » Nous primes la route du parc.

Dans le milieu de la journée, nous passâmes dans une petite ville où il y avait plusieurs marchandes de fruits. L’Empereur fit arrêter et me dit de lui acheter quelques livres de cerises. Pendant que j’allais à une des marchandes, la voiture se trouva entourée de passants qui regardaient d’assez près les voyageurs ; mais l’Empereur, pour se soustraire à leur curiosité et ne pas être reconnu, avait la main sur la joue visible et était dans son coin comme un homme endormi. Dès que nous fûmes sortis de la ville, lui et ses compagnons prirent grand plaisir à se rafraîchir la bouche, et je le vis par les noyaux qu’ils jetaient dehors. Ce fut une petite distraction à l’ennui du voyage.

L’Empereur fit arrêter à Saint-Amand ou à Château-Renault,