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Enfin l’Empereur s’arrêta à Laon, où il arriva dans la journée du 20, vers les deux ou trois heures. J’étais harassé. Comme on le pense bien, il ne m’avait pas été possible de fermer les yeux, dans la position où j’avais dû rester pendant si longtemps.

Je ne me rappelle pas où l’Empereur descendit de voiture ; mais je sais que nous nous trouvâmes dans une cour d’auberge assez spacieuse où l’Empereur resta quelques heures à se promener et à causer avec les principaux de la ville, tels que le préfet, le maire, des officiers de la garde-nationale et quelques autres personnes, tantôt avec l’un, tantôt avec l’autre. Je me rappelle parfaitement que des officiers de la garde-nationale et lui montrèrent un grand dévouement par la chaleur qu’ils mettaient dans leur conversation, et par les expressions dont ils se servaient. Dans la cour, il y avait bon nombre de bourgeois, de paysans, qui, de temps en temps, laissaient échapper des cris de « Vive l’Empereur ! » Chacun était sensible à la grande infortune de celui qui était, il y a peu de jours, à la tête d’une belle armée pleine d’enthousiasme, et qui aujourd’hui a tout perdu, hors l’honneur. Ces cris de « Vive l’Empereur ! » avaient quelque chose qui attristait l’âme.

L’intention de l’Empereur avait été d’abord de rester à Laon pour attendre les débris de son armée, les organiser et les joindre au corps du maréchal Grouchy ; mais, sentant que sa présence serait peut-être utile à Paris, il se détermina à se rendre dans la capitale.

Le préfet, qui avait vu notre piteux équipage, proposa sa voiture à l’Empereur qui l’accepta ; on alla la chercher. Elle était plus propre, plus commode que celle qui l’avait amené à Laon. Elle fut attelée et l’Empereur y monta avec le Grand-Maréchal et moi sur le siège. Au départ, des cris répétés de « Vive l’Empereur, » vinrent encore retentira nos oreilles ; mais ceux qui les prononçaient comme ceux qui les entendaient avaient la tristesse dans le cœur et les larmes dans les yeux.

De bonne heure, le 21, nous arrivâmes à la barrière de Paris, où aboutit la route que nous venions de parcourir ; mais l’Empereur, ne voulant pas entrer par cette barrière, fit prendre à droite pour longer le mur d’enceinte jusqu’à la barrière du Roule. C’est par là que nous entrâmes dans Paris. Nous descendîmes la rue du Faubourg. Les boutiques pour la plupart étant encore fermées, nous pûmes arriver jusqu’à l’Elysée et y entrer,