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Peu loin et en arrière de l’endroit où était l’Empereur, il y avait un chemin creux dans lequel étaient un grand nombre d’hommes tués de la garde anglaise (horse-guard) : on les reconnaissait à leur haute stature et à leur grand casque orné d’une chenille noire.

Bulow repoussé, l’Empereur fit avancer les bataillons de la vieille garde sur les Anglais. La cavalerie avait déjà été lancée. Dès que la garde eut joint l’ennemi, elle y sema la mort, et de toutes parts le fit reculer. Nos blessés qui étaient en grand nombre nous firent connaître l’opiniâtreté que mettaient les Anglais dans la résistance. Parmi les blessés, je vis le général Friand qui était encore à cheval ; quelques moments après, le colonel Mallet, qui était porté par ses soldats. Ce dernier, me reconnaissant, me fit signe de lui donner une goutte d’eau de vie. Je le satisfis immédiatement : je portais le flacon de l’Empereur. L’Empereur qui, une demi-heure avant et peut-être plus, avait laissé la plus grande partie de son état-major et de son piquet d’escorte, pour diriger l’attaque de l’infanterie de la garde, vint nous rejoindre une demi-heure après. La nuit commençait à couvrir le champ de bataille de ses ombres lorsque le maréchal Blücher entra en ligne sur notre droite et porta le désordre dans quelques régiments français, et ce désordre, se communiquant de proche en proche, devint général en peu de temps. Il fallut que la garde fit un changement de front et ensuite qu’elle se formât en carrés, dans l’un desquels se réfugia l’Empereur avec sa suite pour échapper à la cavalerie prussienne qui inondait le champ de bataille. La bourrasque passée, l’Empereur donna l’ordre de la retraite. Le corps de Bulow, qui avait repris l’offensive et qui coupait déjà la chaussée, menaçait de nous envelopper entièrement.

La voiture de l’Empereur et les équipages de la Maison étaient restés à la ferme du Caillou. La voiture de l’Empereur fut prise dans la soirée. Le postillon Horn, qui la conduisait, ne voyant pas jour à la tirer des charrettes et autres voitures qui obstruaient la route, voyant la cavalerie prussienne sur le point de venir le couper, et voyant en outre les balles et les boulets tomber autour de lui, détela ses chevaux, pendant que le premier valet de pied, Archambault, sortait de la voiture le portefeuille et le nécessaire. La voiture resta là et fut presque immédiatement au pouvoir des Prussiens qui la pillèrent, ainsi