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et dédaigneux et qui semblait dire : « Aujourd’hui, je suis ton prisonnier, mais demain, toi et ton armée vous serez anéantis. » Il était à pied, libre, et se rendait sur les derrières de l’armée française. Quelques moments après et dans un autre lieu également voisin de la route, l’Empereur, apercevant un autre officier du même régiment que le précédent, le fit appeler. Celui-ci était blessé au bras. L’Empereur l’interrogea par l’intermédiaire du général Flahaut, qui savait l’anglais et servait d’interprète. Quand l’officier eut répondu aux questions qu’on lui avait faites, l’Empereur ordonna à son chirurgien de le panser. Ce pansement fut fait à quelques pas en arrière de Sa Majesté près du piquet de service. C’est ce même officier qui a fait parvenir à l’Empereur, à Sainte-Hélène, par l’entremise de son frère, lequel était à Canton, différents objets d’un assez grand prix, comme témoignage de sa reconnaissance. Cet officier était un nommé M. Elphinston. Les objets envoyés consistaient en un jeu d’échecs en ivoire, deux globes également en ivoire travaillé à jour, et une boîte contenant des jetons et des fiches en nacre. Chaque pièce avait un écusson sur lequel était un N couronné. Ils ont été envoyés à l’Impératrice Marie-Louise.

Tout le milieu de la journée, le temps fut très mauvais ; ce ne fut que vers les trois ou quatre heures que la pluie cessa ; mais le temps resta brumeux.

L’Empereur, arrivé par une route qui joint la grande route de Bruxelles, fit encore un quart ou une demi-lieue en avant et bientôt nous nous trouvâmes sur un terrain élevé qui domine le vaste bassin borné au Nord par le rideau de la forêt de Soignes. L’horizon, qui était gris, ne permettait pas à l’œil nu de voir distinctement ; nous apercevions seulement, sur notre gauche, une arrière-garde anglaise, suivie par quelques troupes françaises, où on tirait de temps à autre quelques coups de canon dont nous voyions la fumée. Nous étions sur la fin du jour. Peu après que l’Empereur eut fini d’examiner, avec sa lunette, toute la plaine, une immense ligne de feu vint briller à nos yeux, et presque immédiatement le bruit des canons. C’était l’artillerie anglaise, qui montrait le vaste front de son armée rangée en bataille. Il n’y eut qu’une seule bordée ; ensuite en n’entendit plus que quelques (coups) tirés sur la gauche, tant par notre avant-garde que par l’arrière-garde ennemie qui se retirait.