Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 64.djvu/589

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le lendemain matin, l’armée se dirigea sur les Anglais. L’Empereur parcourut le champ de bataille de la veille. Parvenu à l’endroit où deux routes se croisent, il fut vivement contrarié de ne pas y voir le maréchal Ney et son corps d’armée. Son impatience se manifestait au plus haut degré. Il attendait déjà depuis longtemps lorsqu’enfin on aperçut une tête de colonne : c’étaient des hussards ou des chasseurs. Il dit au général qui était en tête : « Qu’avez-vous donc fait toute la matinée ? Il y a longtemps que le corps d’armée du maréchal devrait être ici. Que de temps vous me faites perdre ! » Il exprimait par des exclamations réitérées toute la contrariété qu’il éprouvait de ce retard, qui arrêtait et suspendait ses opérations. Son cheval, excité par le bruit des trompettes, tournait, à droite, à gauche, et ne voulait pas rester tranquille : il semblait partager le mécontentement de son cavalier. L’Empereur ne concevait rien à cette lenteur du maréchal. C’était assez qu’il désirât qu’on mit de l’activité, de la rapidité dans les marches, dans les mouvements, pour que ses lieutenants missent de la négligence dans l’exécution de ses ordres ; il semblait que les uns et les autres se fussent donné le mot. On pourrait dire que, dans cette courte campagne, tout concourt à être contrairement à ce que voulait l’Empereur. Deux jours avant, le général Vandamme, au lieu d’arriver à midi à Charleroi, n’y avait été rendu qu’à trois heures. Tous ces retards ont eu pour conséquence la terrible catastrophe du 18 juin. Dès que l’Empereur eut fini de parler, la colonne se mit en marche et les soldats, en défilant devant lui, l’accueillirent par des cris mille fois répétés de « Vive l’Empereur ! »

Le temps, qui avait été passable dans la matinée, se mit à la pluie ; et l’eau tomba en si grande abondance que la plaine en devint impraticable. Nous étions mouillés jusqu’aux os. A une station, l’Empereur demanda son manteau.

A l’entrée d’un village sur la grande route, des chasseurs à cheval étaient à la poursuite d’un corps de cavalerie anglaise ; ils étaient tous si couverts de boue, qu’ils n’avaient plus figure humaine. Dans cette circonstance on fit prisonniers quelques officiers anglais. L’Empereur était alors à droite et tout près de la route ; l’endroit était élevé de sept à huit pieds au-dessus de la chaussée. Un des officiers prisonniers qui avait le costume de hussard (gris-bleu ciel) passa devant l’Empereur d’un air grave.