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Dans ce groupe, on riait aux éclats, on plaisantait bruyamment sur différentes scènes qui se passaient à quelque distance en avant entre quelques Prussiens et des Français. L’Empereur, qui entendait le bruit que faisaient ces officiers, jetait de temps à autre de leur côté des coups d’œil qui annonçaient l’ennui et le mécontentement. Enfin, impatienté, importuné de tant de gaîté, il dit, en regardant avec sévérité celui qui riait et bavardait le plus : « Monsieur ! on ne doit ni rire ni plaisanter quand tant de braves gens s’égorgent sous nos yeux. »

A la tombée du jour, l’Empereur se rapprocha du village de Ligny. Les pièces de la garde venaient de tirer et tiraient encore à toute volée sur le revers opposé du ravin qu’occupait l’armée prussienne, lorsque parut la tête de colonne des cuirassiers. Au même moment cette brave troupe se précipite dans la ruelle qui partage le village, traverse le ravin et va fondre sur l’ennemi. C’était au galop qu’avait lieu le défilé, devant l’Empereur. Ces valeureux soldats, dont les escadrons se succédaient avec rapidité, étaient si pleins d’enthousiasme qu’ils criaient de toute la force de leurs poumons des : « Vive l’Empereur ! » qui retentissaient au loin. « Ménagez vos chevaux, ménagez vos chevaux, ne cessait de leur dire l’Empereur ; plus tard vous en aurez besoin. » Mais les cuirassiers, ne tenant aucun compte des paroles qu’ils entendaient, quoiqu’elles fussent répétées par le maréchal Soult, n’en suivaient pas moins ceux qui les précédaient. L’aspect de ce défilé qui avait lieu à la lueur et au bruit des canons, était un spectacle magnifique. Braves cuirassiers ! il me semble vous voir encore l’arme haute et courant au combat ! Comme vous étiez beaux !

Pendant toute la journée, l’ennemi a opposé une vive résistance ; mais, le soir, il fut obligé de battre en retraite, laissant beaucoup de son monde sur le champ de bataille. Toute glorieuse que venait d’être cette journée pour les armées françaises, généralement on n’en fut pas content ; elle ne donnait pas les résultats qu’on en avait espérés ; elle n’eut rien de décisif. On eut à regretter particulièrement la perte du général Gérard.

La soirée était déjà fort avancée quand l’ennemi fut en pleine retraite. Le quartier général s’installa dans une espèce de château ou maison de campagne peu éloignée du champ de bataille.