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Vaudricourt, — une Sibylle qui n’a ni les étroitesses, ni les contradictions de Mlle de Feryas, — a été élevée par son père dans le culte de notre XVIIe siècle français. Ce baron normand, issu de l’un des compagnons du duc Guillaume, semblait en effet, dans notre époque, comme un survivant de cette société si bien ordonnée, si polie, croyante et lettrée dont Mme de Rambouillet fut le centre. Il aurait souhaité de naître, disait-il, en ces temps de foi raffermie et de vie stable, de pur et beau langage, de goût délicat et d’urbanité noble. Ayant lu toutefois Tallemant, Bussy et Saint-Simon, il n’ignorait pas les désordres qui persistèrent sous ces apparences pompeuses ; mais, selon lui, les fautes elles-mêmes se développaient en ce temps sur un fond sérieux et solide qui se retrouvait à la fin. On voyait de grands scandales sans doute, mais aussi de grands repentirs parce que le regard se tournait quelquefois vers une région supérieure où tout ramenait à la longue, même le mal !

Cette page nous dit les prédilections de Feuillet que Brunetière envisageait naguère comme un fils spirituel de Racine. Mais, puisque son nom doit vivre par ses romans, non par ses drames, nous le rapprocherions encore plus volontiers des virtuoses de notre roman classique, de la Calprenède en particulier, ce préracinien, trop oublié, dont les Cassandre ou les Cléopâtre ont la dignité aimable, la haute conception du devoir et le charme irrésistible qui pare les Aliette de Vaudricourt ou les Charlotte d’Erra : parfois aussi les vivacités d’humeur et les fantaisies de sentiment qui font plus vivantes les Marguerite Laroque ou les Sibylle de Feryas. Pour être revenu, — à travers Racine en effet, c’est fort probable, — vers le romanesque classique, cette trop fugitive étape de notre évolution morale, Feuillet mérite comme il l’a souhaité, outre l’admiration des artistes et des gourmets de pure langue française, l’estime du psychologue d’expérience et l’adhésion du moraliste rationnel.


ERNEST SEILLIÈRE.