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trop du cœur de ton mari. Les hommes les meilleurs, les plus nobles ont leurs instants de distraction, de défaillance ; et puis ils ont leurs goûts, leurs plaisirs comme les nôtres, et enfin il ne faut pas oublier qu’ils soutiennent la part la plus lourde de l’existence commune. Ne laisse jamais se glisser dans ton cœur ni dans ton langage cette amertume, cette aigreur qui flétrit peu à peu, qui détruit toute confiance et toute intimité. Un seul mot de tendresse peut prévenir tant de douleurs ! » Conseils excellents, dont Sibylle elle-même aurait pu faire, à l’occasion, son profit : antidote de tout romanesque qui dépasserait les limites « permises » et engendrerait donc à nouveau ces femmes « incomprises » du romantisme passionnel qui remplissent les premiers récits de Balzac ou de Sand : pâture intellectuelle des Béatrix ou des Emma Bovary.

Toutefois, c’est dans une piécette en un acte, encore plus oubliée que la Tentation, c’est dans l’Acrobate, représenté sur le Théâtre-Français en 1873, que Feuillet a pris en quelque sorte le contre-pied de ses voies habituelles et donné pleinement gain de cause au mari, homme d’expérience et de sang-froid, dans son procès contre l’épouse rêveuse, exaltée et bientôt tentée par conséquent. — Ainsi George Sand, assagie par la vie, publia son Valvèdre, quelque trente ans après son déplorable Jacques. — Mme de Solis vient de commettre une grave imprudence de conduite qui l’a mise à la discrétion de son époux ; et celui-ci de l’apostropher en ces termes : « Il est dur pour un galant homme de voir pendant des années les meilleures, les plus dignes inspirations de sa raison et de son cœur dédaignées, repoussées presque comme des outrages. Ah ! je le savais, allez ! Vous attendiez, vous vouliez de votre mari les sentiments romanesques (c’est la guitare de M. de Maurescamp), les ivresses dramatiques dont les conversations du monde, les livres, les théâtres remplissent et enflamment l’imagination des femmes. Si bien que ces femmes finissent par y voir le fond et le but même de l’existence. Eh ! bien, non ! Cet amour-là, je ne vous l’ai pas donné ; je m’en serais bien gardé et je vais vous dire pourquoi d’un seul mot. C’est que le mariage n’est pas une aventure galante ; c’est qu’il vit et dure par des sentiments d’un autre ordre, par des émotions plus vraies, plus saines et moins fugitives ; c’est que je vous aimais comme ma femme et non comme ma maîtresse, comprenez-vous ? Il faut, cela est certain, qu’une honnête