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sympathie dans les esprits de sang-froid. Il nous l’a montrée pourvue dès son enfance du don fatal de concevoir les fantaisies les moins raisonnables et d’en exiger alors la satisfaction avec une ardeur impérieuse que l’obstacle irritera jusqu’à la frénésie ! Certes, L’éducation attentive et affectueuse qu’elle reçoit de ses grands-parents dans leur château normand vient corriger jusqu’à un certain point son impulsivité native ; mais le vieux marquis de Feryas n’en est pas moins contraint de lui dire, non sans tristesse, au cours de cette enfance quasi-miraculeuse, et tandis qu’elle convertit autour d’elle institutrice, grand’mère, curé même, — en attendant de ne pouvoir convertir celui qu’elle aime : « Vous voulez toujours monter sur le cygne ! Vous voulez l’impossible. Ce sera, je le crains, l’écueil de votre vie ! » Et voilà un avertissement de plus aux illusions de l’esprit romanesque.


VI

On aurait donc tort de juger que Feuillet n’a point aperçu le danger de sa thèse fondamentale sur le romanesque permis. Aussi bien, dans son théâtre où il s’est montré notablement moins romanesque que dans ses romans, il a proposé lui-même avec insistance les corrections nécessaires aux licences émotives ou imaginatives qu’il concéda si largement par ailleurs à ses contemporaines. Et, par exemple, dans sa Belle au Bois dormant, il a dessiné un autre Raoul de Chalys qu’une autre Sibylle de Feryas épouse bel et bien sans exiger son acte de foi préalable et qui tient même décidément le rôle sympathique en face d’une enfant étroite autant qu’obstinée dans son appréciation follement romanesque de la vie moderne.

Son drame de la Tentation, qui est de 1860, nous montre la comtesse de Vardes, victime d’un époux inégal à sa tâche éducatrice (son thème favori comme nous le savons) ; mais cette belle personne plaintive entreprend son examen de conscience et ne se trouve pas non plus sans reproches. Elle prononce en effet ce mea culpa fort explicite, en s’adressant à sa fille, — qui vient de se fiancer, pourtant, de la façon la moins romanesque du monde et n’a donc nullement besoin d’une pareille leçon : « Ne demande pas trop à la vie ! Elle est douce, la vie. Elle a des heures divines, mais, enfin, ce n’est pas le ciel. N’exige pas