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exigence suprême, moins gâté en son fond que celle dont la corruption fut son œuvre. Mais pourquoi refusa-t-il naguère à cette femme d’élite le roman permis qui eût associé leurs vies pour la fortune peut-être et pour le bonheur à coup sûr ? Poursuivant, à travers tous les obstacles sociaux, ce roman désormais coupable, elle est devenue le mauvais génie de l’homme dont elle était née pour être l’ange tutélaire. Une haute leçon d’idéalisme irréprochable, ainsi qu’on le voit !

Dans les dernières années de sa vie, Feuillet retourna, par son roman de la Morte, vers les deux sujets de Sibylle et de Camors, fondus par lui en un seul dans une intéressante synthèse : ce qui nous montre bien ces deux situations sentimentales (la romanesque victimée et la romanesque dévoyée par l’homme), comme les thèmes favoris de son imagination d’artiste. — Il a dessiné dans ce récit un nouveau monstre féminin d’assez énergique allure. Sabine Tallevaut fut jetée, elle aussi, hors de la voie droite par l’erreur éducatrice de celui qui a souhaité d’être son époux. Son oncle et tuteur, le savant dont nous avons parlé déjà, a prétendu se préparer, en elle une compagne selon son rêve romantique et renanien. Il n’a fait de la jeune femme, après Camors, qu’une autre immoraliste par principe, de nuance plutôt scientifique qu’esthétique seulement. Non contente de suggérer, comme Mme de Campvallon, un assassinat à celui qu’elle aime afin d’écarter de son chemin une rivale, celle-ci agira par elle-même et empoisonnera froidement Mme de Vaudricourt dont elle désire épouser le mari. Son oncle a cependant pressenti d’abord, puis constaté indubitablement le crime. Il en a été foudroyé, comme le général de Campvallon le fut par la trahison de celle et de celui qui lui devaient tout ; mais, avant de succomber à son tour au choc de l’apoplexie, Tallevaut sera contraint d’entendre, pour son tourment suprême, le plaidoyer de sa trop docile disciple : « L’arbre de la science, mon oncle, ne porte pas les mêmes fruits sur tous les terrains. Les prétendues vertus naturelles dont vous attendez le bonheur social sont, en réalité, facultatives, puisqu’elles ne sont en nous que des instincts, de véritables préjugés dont la nature gratifie ses créatures parce qu’elle en a besoin pour la conservation et le progrès de son œuvre, etc.. »

Mariée selon ses désirs, la terrible Sabine se tournera vers ce flottant et insuffisant Bernard de Vaudricourt qui lui offrit