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guère ; et, trop souvent, par les manifestations irréfléchies de leur incroyance ou par de vaniteuses allusions à leur passé galant, ils s’emploieront à saper, à dégrader l’édifice moral élevé à grand frais par les soins éclairés d’une mère dans l’âme de leur compagne, à substituer dans cet esprit, encore malléable et docile, le désordre et la confusion des idées aux traditions de la discipline familiale, source d’équilibre et de paix. De leurs propres mains, ils mineront les digues qui contenaient à leur profit la passion de ces jeunes cœurs dans les limites, étroitement mesurées, du devoir.

Quelles conséquences engendre cette totale incapacité éducatrice des modernes chefs de famille ? Voilà le sujet même de la plupart des romans de Feuillet. — Il nous montre certaines de ses héroïnes sauvées par leur frivolité de la chute et s’étourdissant, aux vacarmes mondains, sur le vide de leur existence intime. Tel est le cas de la grand’mère maternelle de Sibylle, la comtesse de Vergnes, dont le réquisitoire contre son mari a été si souvent cité : « Moi aussi, j’étais une enfant quand vous m’avez épousée, et si je suis restée ce que j’étais, à qui la faute, etc. » D’autres, dévoyées et désorientées par leur guide naturel, vont à la chute presque involontaire qui les abat soudain par surprise et dont quelques-unes meurent, lorsque leur nature était foncièrement honnête. La Petite Comtesse de Palme, Mme Lescande, dans Camors, la Cécile du Journal d’une Femme ou même l’énigmatique Julia de Trécœur auront ce destin. D’autres enfin survivent sans peine à leur défaillance et s’endurcissent alors dans le péché pour devenir ces « monstres » de cynisme et d’audace perverse qui gardent l’œuvre de Feuillet de la fadeur par leur scandaleuse présence : Mme de Talyas, Marianne de La Pave (La Veuve), Mme de Maurescamp (celle-ci après une belle défense contre le vice), enfin Blanche de Chelles ou le Sphinx appartiennent à ce troupeau de brebis noires qui le sont devenues par la faute de leur mauvais berger ou du moins de leur berger distrait.

Le type le plus achevé toutefois de cette sorte de femmes, c’est la marquise de Campvallon, que vient égarer, elle aussi, un homme inégal à son devoir d’éducateur. Non pas un mari cette fois cependant, car Louis de Camors l’engagera, sans l’épouser, sur la voie du désordre. Cette belle et noble fille dépourvue de fortune a dit un jour à son charmant cousin,