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première de son éducation (chrétienne et sociale) ou par les convenances extérieures de la vie civilisée. Pourtant, le sentiment du devoir et la dignité morale ne reposant plus en lui sur aucune base effective, il descendra bientôt vers les jouissances faciles et basses, et, sous son Vernis d’Européen, tendra vers le niveau moral du nègre. Telle est la destinée des hommes ou des peuples qui n’ont pas cultivé dans leur sein l’idéal. — Une religion est donc indispensable, selon Tallevaut. La sienne enseigne le progrès indéfini de l’Univers et le devoir, pour l’humanité supérieure, de collaborer activement à ce progrès. Mais cette religion, complétée par certaines considérations que Feuillet emprunta des Dialogues philosophiques de Renan, le laissera sans force (comme le Gandrax de Sibylle) devant l’immoralisme terrifiant que ses leçons engendrèrent dans la femme dont il avait fait son disciple, pour en faire, un jour prochain, sa compagne.


IV

En présence d’hommes disposés mentalement de la sorte, comment réagissent les femmes de Feuillet, appuyées sur les concessions romanesques du sexe masculin, — concessions qui favorisent si évidemment, depuis quelques siècles, leur naturel, leur instinctif effort vers le pouvoir social ? — Tel est l’aspect de son œuvre que nous devons examiner maintenant. Celles de ces femmes qui affrontent les hasards du mariage dans la haute sphère sociale, qu’il a presque exclusivement décrite, sont le plus souvent animées, selon lui, d’une très sincère bonne volonté morale. Il ne leur manque que ce complément d’éducation intellectuelle et sociale dont leur époux doit leur procurer le bienfait. Par malheur, les hommes se marient sans avoir médité sur les devoirs dont ils vont assumer la charge. En faisant choix d’une compagne, il obéissent à l’impulsion de l’exemple, aux conseils de la tradition ou même de la routine ; c’est d’un cœur léger qu’ils se préparent à enfermer toute la vie d’une femme dans un épisode, assez indifférent à leurs yeux, de leur propre existence. Leurs principes flottants, leur scepticisme insouciant les mettent-ils en situation de cultiver, dans leur jeune épouse, le respect de ses devoirs et le dévouement à sa tâche éducatrice ? C’est là une question qu’ils ne se posent