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que façonnèrent au préalable, lui-même, les conquérants du romantisme byronien, les Julien Sorel ou les Rastignac Ce jeune homme, si hautement doué, nous apparaît donc aujourd’hui comme un précurseur (à une génération de distance) du magistral Disciple de M. Bourget qui aura les mêmes éducateurs. Le testament paternel qui lui dicte les principes de sa conduite future est vraiment une admirable page : « La religion de l’honneur, a écrit, pour son unique enfant, le suicidé, doit pour vous suppléer à tout. Usez sans scrupule des femmes pour le plaisir et des hommes pour la puissance, mais ne faites rien de bas. Préparez-vous l’ambition pour votre âge mûr... mais défaites-vous de je ne sais quelle faiblesse de cœur que j’ai remarquée en vous et qui vous vient sans doute du lait maternel... Modifiez votre escrime ; votre jeu est trop large. Ne vous fâchez point. Riez peu. Ne pleurez jamais ! »

La religion de l’honneur, d’origine chevaleresque et chrétienne en réalité, est, à ce titre, peu capable de régir l’orientation pleinement égoïste de la vie, comme Louis de Camors ne s’en apercevra que trop tôt, par les graves manquements que ses appétits le conduiront à commettre contre cette religion de renoncement. A la conception paternelle de la vie, il ne saurait adapter qu’une sorte de mysticisme esthétique, analogue à celui dont fit profession un Stendhal ou un Barbey d’Aurevilly. C’est à quoi il se résout enfin, faute de mieux. Désormais le mal se résumera pour lui dans la laideur, l’ignorance, la sottise ou la lâcheté : le bien résidera dans la beauté, le talent, la science ou le courage. Persuadé que la fleur du savoir-vivre, la délicatesse du goût, l’élégance des formes constituent la beauté morale convenable à un gentilhomme, il ornera sa personne de ces grâces légères et suprêmes, comme un artiste consciencieux qui ne veut laisser dans son œuvre aucun détail imparfait.

Plus tard encore, Feuillet incarnera ce romantisme moral qu’il réprouve, non plus dans un stendhalien à la façon de Camors, mais dans un renanien (d’origine hégélienne par conséquent) qui fera plus franchement l’aveu de son mysticisme foncier. Le docteur Tallevaut (de la Morte) cherche son point d’appui métaphysique dans la religion de l’humanité. Un homme bien né qui ne croit plus à rien et qui s’y résigne, exposera-t-il tout d’abord contre les byroniens que nous venons d’évoquer, se trouve encore soutenu quelque temps par l’impulsion