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Feuillet a peint avec plus de détail encore, parce qu’ils lui parurent mériter ce surcroit d’attention de sa part, des maris moins déplaisants. Ceux-là sont les produits spécifiques de l’époque moderne, les « enfants du siècle « romantique, rebelles au dogme chrétien désormais, et tourmentés néanmoins par de persistantes aspirations mystiques qu’ils tentent, sur diverses voies, de satisfaire. — Voici par exemple Bernard de Vaudricourt, dans la Morte : il a versé des larmes amères quand il a perdu la religion de son enfance, quand il a vu, dit-il de pittoresque façon, disparaître à l’horizon derrière lui cette belle tête de vieillard qu’il avait appris à nommer le bon Dieu dans ses prières naïves. Il n’en cherchera pas moins, de façon plus courtoise seulement que les Maurescamp ou les Vardes, à précipiter son admirable femme des hauteurs morales sur lesquelles il ne saurait plus se mouvoir à l’aise avec elle. Mais voici surtout Raoul de Chalys qui a pris tout le cœur de la fière Sibylle de Féryas, ce Raoul si flottant entre le mal et le bien que son évocateur a flotté quelque peu lui-même dans l’appréciation qu’il nous en suggère, nous laissant finalement incertains, ou même déroutés devant cette énigme vivante. Raoul est-il « une intelligence profondément dépravée, » comme on nous l’a présenté tout d’abord, ou seulement un sceptique désespéré de son scepticisme et appelant à grands cris le Dieu qui se cache, comme le fit trente ans plus tôt Lélia ? Vers le dénouement du récit, on le voit près de revenir à ce Dieu sous l’influence de celle qu’il aime ; puis soudain se détourner, par un motif peu plausible (le suicide d’un ami athée, à la suite d’une déception d’amour), de la voie sur laquelle nous le croyions engagé : puis enfin revenir à ce chemin de la foi quand il est trop tard pour le suivre aux côtés de Sibylle. Cette très perceptible hésitation dans les intentions de l’auteur à l’égard de son héros diminue la portée d’un roman qui a des pages si attachantes et laisse à un autre récit la première place dans l’œuvre dont nous étudions les tendances.

En effet, ce reproche d’incertitude et d’inconséquence ne saurait plus être fait au comte Louis de Camors qui passe cependant par d’analogues oscillations de sa volonté virile, mais dont les finales concessions à une vue idéaliste de la destinée humaine sont préparées d’une main plus sûre et nous donnent l’impression de la vérité. — Camors a été formé par un père