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devient, aussitôt franchi le seuil de sa demeure, un vieillard inquiet, morose et violent ! Voici le père de Louis de Camors, viveur impénitent, dépravé jusqu’aux moelles et avec cela de mine haute, d’allure superbe, rayonnant d’on ne sait quel charme souverain. Le père de la tragique Julia de Trécœur est un oisif, dépourvu, comme tous les hommes de sa génération, du sentiment du devoir, un esclave de ses instincts et de ses passions, une victime de son tempérament impulsif et des fâcheuses influences morales de son époque. Pourtant celui-là, au sortir de ses bonnes fortunes, va volontiers crier son repentir et son désespoir aux pieds de son épouse : en sorte que la douce Clotilde se sent troublée, par ces scènes de mélodrame, dans sa résignation mélancolique. Elle eût préféré, écrit joliment l’historien de ses souffrances, une infortune plus tranquille et, plus volontiers, supporté un malheur sans phrases !

La plupart de ces maris peu dignes d’inspirer un sentiment élevé sont des antiromanesques par principe, comme il est facile de le prévoir. Ainsi M. de Talyas dans Les amours de Philippe, ou M. de Vardes dans La Tentation. Ce n’est pas ma faute à moi, répond ce dernier à de trop justes doléances, si je ne puis m’élever jusqu’à vos sommets, si j’ai été pétri d’une argile inférieure ou d’une fange subalterne ! Je ne puis me reconnaître qu’un tort envers vous, celui de ne point passer ma vie à vos pieds avec une guitare... J’avoue qu’après plus de quinze ans de mariage, j’ai cru, par intervalles, pouvoir déposer la guitare ! » La guitare est aussi le refrain ironique de l’odieux Maurescamp dans l’Histoire d’une parisienne. Cet homme vulgaire s’est méthodiquement appliqué à détruire, dans l’âme de sa charmante compagne, la disposition romanesque dont il fait la véritable ou même l’unique cause de l’insatisfaction des épouses délaissées. Tout ce qui peut leur échauffer l’imagination, opine-t-il, la poésie, la musique, l’art sous ses diverses formes ou même la religion ne doit leur être permis qu’à fort petites doses. Il se prend donc à bouffonner lourdement dès que la baronne chante à son piano avec sentiment, ou s’avise de lui traduire des vers de Tennyson. Il affecte alors des émotions caricaturales, des pâmoisons imminentes. « Ah ! épargnez-moi, de grâce... Je vais m’évanouir ! » Après quoi, il estime avoir refroidi, de façon fort prudente et fort efficace, ce qu’il traite de sottes exaltations romantiques !