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Enfin, sur la plus achevée des disciplines morales, sur celle que propose à ses fidèles le christianisme rationnel, — cet héritier des sagesses antiques et ce promoteur d’un mysticisme admirablement gouverné, — Feuillet a toujours mis l’accent principal au cours de son œuvre entière. Il enseigne en effet que le mariage digne de ce nom doit avoir ses racines dans une adhésion ferme à la religion qui le consacre devant ses autels ; car la foi dans la survie que méritent, par la pensée et par le sentiment, les individus périssables peut seule prêter aux faibles amours de ce monde quelque chose de la solidité, de la durée des amours divines ! C’est la thèse, naguère si discutée, qui est soutenue dans l’Histoire de Sibylle. Quant aux femmes qui n’ont pas trouvé dans le mariage l’amour durable, elles auront grand besoin pour rester de dignes épouses et des mères égales à leur tâche de se souvenir qu’elles sont des chrétiennes, c’est-à-dire les ferventes d’une religion qui annonce l’épreuve et commande le sacrifice.


III

Bien que le Roman d’un jeune homme pauvre, ce premier et éclatant succès de Feuillet, présente l’homme honnêtement romanesque et la femme provisoirement antiromanesque (par la faute des hommes au surplus), il a presque toujours opposé ensuite des romanesques chrétiennes à des désabusés sans religion qui, de l’inspiration chevaleresque de leurs ancêtres, ne gardent plus que les gestes conventionnels et les formes extérieures. Le gentilhomme français tel qu’il le dépeint est donc, sauf exceptions, un assez triste personnage.

Mais les bons ménages, comme les peuples heureux, n’ont pas d’histoire : leur évocation ne saurait tenter la plume d’un romancier, et rarement Feuillet rend la femme responsable dans les mauvais. C’est pourquoi les maris coupables sont véritablement légion dans son œuvre. Au seuil même de cette œuvre et précédant d’une génération l’aimable Jeune homme pauvre, voilà le père de celui-ci, le marquis de Champcey d’Hauterive, qui, sous des dehors exquisement courtois, cache l’irréflexion habituelle, la légèreté incurable, la fureur du plaisir, et, en trois mots, le plus parfait égoïsme. Causeur éblouissant, type achevé de grâce virile dans le monde, il