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sur cette formation préalable de nos futures compagnes, — que les femmes les plus franches, étant habituées dès l’enfance à une sévère contrainte de langage et de tenue, se trouvent avoir, dans les circonstances difficiles, un avantage marqué sur les hommes les plus énergiques. Elles se possèdent, en effet, bien davantage ! Et d’une façon très ferme encore, il soulignera le bienfait de la maîtrise du soi lorsqu’il parlera de l’affection paternelle chez un viveur qui a fort mal élevé sa fille unique : « L’amour qu’on porte à ses enfants n’est pas, en soi-même, une vertu. C’est une passion, qui, comme toutes les autres, est bonne ou mauvaise selon qu’on en est le maître ou le valet ! »

Un autre frein qu’il propose, ou plutôt qu’il suppose, sans conteste possible, à la base de cet esprit romanesque dont il encourage l’épanouissement chez la femme, est la discipline aristocratique, née d’une longue éducation de la race. En tous temps et dans tout pays, remarquait jadis Brunetière (à propos d’Octave Feuillet précisément), les aristocraties sont des créations de leur propre volonté ; habituées par hérédité, puis, par formation dès l’enfance, à mettre leur orgueil et leur honneur en cette volonté robuste, la dernière chose qu’elles perdent est le sentiment ou l’illusion de leur liberté. On verra donc souvent les nobles héroïnes de Feuillet garanties contre les entraînements de leur aspiration romanesque par le souci de ce qu’elles doivent à leur nom, au sang sélectionné qui coule dans leurs veines : « Une femme de bien, remarque la spirituelle baronne de l’Ermitage, — qui parle des évocateurs de l’amour romantique et de leurs suggestions intéressées à leurs lectrices, — une femme de bien ne livre pas les secrets de sa pensée et la nudité de son âme à l’anatomie littéraire. Le scalpel des poètes, comme ils disent, ne fouille que dans les cœurs pervertis et ne dévoile que des âmes malsaines. Il en résulte, dans l’imagination publique, un certain type fabuleux du sexe féminin qui ressemble, j’y consens, aux demoiselles de ces messieurs (les Dames aux Camélias de l’époque), mais pas à moi, j’en réponds. Tenez, j’ai connu un petit jeune homme qui était fort glorieux d’avoir mis à mal deux ou trois servantes d’auberge, mais se plaignait toutefois que les femmes, en général, eussent comme une odeur de torchon. Il ne voulait pas se marier à cause de cela ! » Qui ferait tenir, aujourd’hui, ce langage à une femme, en quelque sphère sociale qu’on la suppose d’ailleurs placée ?