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par des larmes ; car certaines souffrances valent mieux que le bonheur, ou, plutôt, sont le bonheur même ! Et tel est le roman que chacun de nous a le droit, ou, pour mieux dire, le devoir de mettre dans sa vie, s’il veut être un homme digne de ce nom, qui oblige !

Ces lignes commenceront de nous éclairer sur l’attitude morale de Feuillet. Si le romantisme, destructeur hâtif et téméraire des antiques synthèses morales et sociales réalisées péniblement par la dure expérience humaine, lui apparaît comme une erreur dangereuse, il est en revanche l’apôtre d’un romanesque permis ou mieux d’un romanesque prescrit. Que, dans l’un de ses récits d’âge mur (Le journal d’une femme), un moraliste spécieux s’avise de définir la femme de devoir comme la femme qui ne cherche pas de romans dans la vie, parce qu’il n’y en a pas de bons, qui n’y cherche pas la poésie, parce que le devoir n’est pas poétique, qui n’y cherche pas enfin la passion, ce nom conventionnel et poli du vice, aussitôt s’élèvera la protestation d’une femme d’âge et d’esprit, prompte à réprimer ce qu’elle juge un excès de zèle : « Oh ! pardon, interrompra cette très vivante douairière, je ne laisserai pas soutenir de pareilles hérésies devant ces jeunes personnes. Sous prétexte d’en faire des femmes de devoir, voudriez-vous donc en faire des sottes ? On peut fort bien mettre la passion dans le devoir. Et non seulement on le peut, mais on le doit ! » Toujours la formule impérative superposée à la simple autorisation consentie, ainsi qu’on le voit ! Cette fusion est même tout le secret des honnêtes femmes, achève la comtesse d’Erra. Le devoir n’est pas poétique, soit. Il faut donc qu’il le devienne pour qu’on ait plaisir à le pratiquer, et c’est précisément à poétiser le vulgaire devoir que nous servent les dispositions romanesques contre lesquelles vous lancez l’anathème... Mesdames et mesdemoiselles, ne vous gênez pas. Soyez enthousiastes, soyez romanesques tout à votre aise... Le sentiment poétique au foyer d’une femme, c’est la musique et l’encens dans une église : c’est le charme dans le bien ! » Tel est, exprimé en termes heureux, le compromis que négocia ce caractère chevaleresque entre le sentiment et la raison.

La vie n’est pas un roman, dit également à sa jeune femme le mari de la Clef d’or, qui s’attire aussitôt cette véhémente réplique : « Et vous l’avez crue, monsieur, cette chose vulgaire,