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politique de 1850, cette orientation toute positive de la génération alors grandissante que les survivants de 1830 baptisèrent ironiquement du nom d’ « esprit nouveau. » Le brasseur d’affaires Montjoye incarne, dans son théâtre, ce peu sympathique état d’âme. « Tu as piétiné toute ta vie dans ce que j’appelle le bleu, dit ce riche financier à un ancien camarade, de tendances idéalistes et de très précaire situation sociale. Mon point de départ à moi, ce fut précisément l’horreur du bleu, en tout et partout... J’appelle bleu, mon ami, tout ce qui n’est pas pratique, tout ce qui n’est pas, en morale, le tien et le mien, en philosophie, deux et deux font quatre. Illusions poétiques, préjugés d’enfance, superstitions romanesques, sensibilités maladives, phrases sonores et vides, voilà le royaume du bleu !... J’ai mis sous mes pieds tout ce qui est de convention, tous les sentiments parasites et littéraires dont cette pauvre humanité se plaît à amollir encore sa débilité naturelle, à tourmenter sa conscience et à compliquer son fardeau... J’ai marché le Code dans une main, l’épée dans l’autre ; et me voilà ! »

Contre ce réalisme brutal, — qui n’empêchait nullement d’ailleurs la persistance du grand courant romantique en profondeur, comme les événements ne tardèrent pas à le démontrer, — Feuillet proteste avec les esprits généreux de son temps. Le livre qui lui a donné la célébrité, le Roman d’un jeune homme pauvre, n’est qu’une variation, fort habilement modulée et bien agréablement attendrissante, sur le thème dont nous allons noter la ligne mélodique fondamentale. A force de raison et de prose, fait-il dire à son très sympathique héros (le Grandisson du XIXe siècle), on finit par diffamer Dieu et par dégrader ton œuvre ; car ce Dieu accorde bien la paix aux morts, mais ils donne aux vivants la passion, pour qu’ils s’en servent et la mettent en œuvre. — Nous avons déjà rappelé qu’il n’entend pas cette mise en œuvre comme les rousseauistes de la génération précédente. — Oui, reprend le jeune marquis de Champcey avec une conviction communicative, malgré la vulgarité des intérêts courants et quotidiens, à laquelle ce serait un enfantillage que de prétendre échapper tout entier, il y a une poésie permise, bien mieux, une poésie commandée ! Telle est, ici-bas, la part de l’âme immortelle. Il faut que cette âme se sente et se révèle à ses heures, fût-ce par des envolées au delà du réel, par des aspirations au delà du possible, fût-ce par des orages et