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l’anarchie menaçante ; son sens droit, sa solide éducation traditionnelle, sa jeune expérience de la vie lui conseillèrent simultanément d’y concourir. Il combattra donc désormais la psychologie mystique (dont Jean-Jacques a si puissamment vulgarisé les illusions), sous les deux formes les plus spécieuses qu’elle ait revêtues de notre temps : mysticisme social et mysticisme esthético-passionnel : en termes plus clairs, inspiration divine prétendue au profit des éléments les moins cultivés du corps social : interprétation des individuelles fantaisies de l’érotisme comme un commandement venu d’En-haut à la créature humaine.

Sur le terrain politique, il se déclarera tout d’abord pour la révolution rationnelle contre les fanatiques de l’égalité par le bas, pour Hoche et Marceau contre Ma rat ou Carrier. Les utopistes, il les a vus de nouveau au gouvernail après la chute de Louis-Philippe ; il sait rendre justice aux intentions généreuses des plus sincères d’entre eux sans accepter leur chimères dévastatrices. Ces hommes, dira-t-il quelques années plus tard, ont rêvé une société robuste, maîtresse de ses destinées et acceptant à peine de déléguer quelques-uns de ses droits sans aliéner aucun d’eux : une société vivant sans maîtres, sinon sans lois, et cherchant l’indépendance, la dignité, la justice. Par malheur, si de pareilles aspirations ont eu, de tout temps, leurs puritains, leurs héros ou même leurs martyrs, de tout temps aussi elles ont suscité de faux dévots, des Tartuffe qui sont leurs plus dangereux ennemis. — Tel nous sera dépeint l’oncle paternel du comte Louis d’Ardennes de Camors, le héros du meilleur roman de Feuillet. Ce cadet de race noble, se jugeant mal pourvu par le sort, s’est jeté dans le parti de la destruction et s’est baptisé Dardennes jeune (du Morbihan). Il a pris une part active au mouvement de 1848 : puis, déçu dans ses espérances dominatrices par le rapide échec de son parti, il affichera sous l’Empire des convictions froidement terroristes. On ne fait point d’omelettes sans casser des œufs, exposera-t-il à son neveu hésitant sur la route qu’il lui faut suivre dans la vie. Les pionniers de l’avenir doivent marcher la hache à la main, car la Liberté est une déesse avide qui réclame de vastes holocaustes. Si on eût terrorisé la France en février, on l’eût conduite au bonheur ! — Mais Louis de Camors, interprète évident de la pensée de Feuillet sur ce point, estime au contraire que notre seconde