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naïf, je me suis parfaitement divertie aux Mariés de la Tour Eiffel de Jean Cocteau. C’est un gai spectacle, bouffon et profond ; une féerie jouée à la foire. La cocasserie des costumes, la perfection guignolesque des mimes, l’ingéniosité ingénue des inventions, tout cela compose un plaisir neuf, d’une drôlerie très imprévue et d’une véritable poésie comique. Deux phonographes, compère et commère de revue, ou remplaçants du chœur antique, parlent de chaque côté de la scène et nous racontent ce qui se passe. Ils nous expliquent les choses les plus vraies et à la fois les plus fantastiques. De quelle utilité ne seraient-ils pas pour expliquer toute œuvre nouvelle, le public ayant assez naturellement horreur de la nouveauté !

Les malheurs du photographe qui a perdu ses images, et qui, à force de répéter « un petit oiseau va sortir, » voit sortir en effet de son appareil toutes sortes d’apparences qui s’échappent des vieux clichés et dont il ne peut plus arrêter la vie ; le discours du général, l’arrivée du lion, la poursuite de l’autruche, la danse des dépêches, et l’enfant prématuré et mille autres farces, nous subjuguent et nous enchantent d’autant plus qu’accompagnées par les réflexions des judicieux et spirituels phonographes, elles cachent souvent sous leur apparente saugrenuité les vérités les plus justes, et d’assez amers symboles. Ce qui n’empêche pas de rire, du rire le plus franc et le plus satisfait. Alors, pourquoi ces sifflets ? Pourquoi bouder contre son agrément, et ne pas applaudir simplement et en toute bonne foi, en reconnaissance d’une heure pendant laquelle on s’est si pleinement amusé, l’auteur, en quête de folies et de sagesses nouvelles, le très subtil et très charmant poète Jean Cocteau ? La musique du « groupe des Six » qui accompagne « les Mariés » est une excellente musique d’opérette, bondissante, gaie, rieuse et libre.


Le même soir, avant ces impayables Mariés de la Tour Eiffel, on donnait un autre ballet : l’Homme et son désir de M. Paul Claudel. Là, point de phonographes pour m’expliquer quoi que ce soit ; et j’ai compris ce que j’ai voulu, me livrant tout à mon aise au délire de l’interprétation et imaginant ce sous-titre :

« ... ou la candidature. » 

La scène est à trois étages, trois grandes marches d’un vert billiard, ou plutôt non : académique. Sur la marche du milieu