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La multitude était dans l’enivrement. Les rafraîchissements ne manquèrent pas le long de la route. C’était un triomphe sans exemple. Il était déjà tard lorsqu’on atteignit le faubourg de Grenoble.

L’Empereur, quoique fatigué, voulut compléter la journée par son entrée dans la ville. Il faisait très sombre, la foule était amoncelée autour de lui. Le général Marchand, qui commandait la place, informé de tout ce qui s’était passé, avait fait rentrer ses troupes dans la ville, dont il avait fait fermer les portes. Les soldats du dedans parlaient à ceux du dehors, leur disant qu’il n’y avait rien à craindre ; on leur disait qu’ils ouvrissent les portes. Il y avait échange de plaisanteries. On était dans une complète obscurité. Si quelques habitants de l’endroit où nous étions montraient de la lumière, aussitôt plusieurs voix se faisaient entendre en criant : « Eteignez les lumières ! » Tandis que les soldats continuaient à échanger quelques propos plaisants, le groupe où était l’Empereur était silencieux et attendait avec anxiété la fin de la scène. Malgré les bonnes dispositions que manifestaient ceux qui étaient dans les fortifications, les portes restaient fermées, ce dont on était étonné. Des cris de Vive l’Empereur ! étaient répétés de temps à autre. Enfin plusieurs voix s’écrièrent : « Brisez les portes ! » « Oui ! oui ! des des haches ! des haches ! » répondirent beaucoup d’autres. Peu après retentirent aux oreilles les coups redoublés de ces instruments et, en quelques moments, la porte fut brisée et enfoncée. Aussitôt la masse compacte de la population qui nous environnait se précipita dans la ville aux cris mille fois répétés de Vive l’Empereur ! Vive Napoléon ! L’Empereur et ceux qui étaient auprès de lui, entraînés par le flot, se trouvèrent avoir passé la porte sans s’en apercevoir. Le 4e de hussards, qui était dans la rue aboutissant à la porte, servit d’escorte à l’Empereur et l’accompagna jusqu’à l’auberge où Sa Majesté descendit de cheval. La rue ou les rues par lesquelles nous venions de passer étaient si étroites relativement à la multitude qui se pressait, qu’on n’avait pu marcher que très lentement. Ceux qui étaient à cheval avaient eu les genoux si comprimés par la foule, que c’avait été une souffrance à supporter jusqu’à ce que l’on eût mis pied à terre. Ce ne fut pas sans peine que l’Empereur put descendre de che-val et put monter l’escalier qui menait à l’appartement qui lui était destiné. Il s’y trouva porté. Lorsqu’il