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mélancolique. Ce genre de plaisir serait-il à son déclin ? Le croiriez-vous ? Le bal de l’Opéra ne « battit son plein » jadis que sous Louis-Philippe, quand les débardeurs de Gavarni intriguaient les héros de Balzac au bruit de l’orchestre de Musard. Car Musard, oui Musard, précurseur du « bruitisme, » cassait des chaises en mesure au plus ardent du quadrille, et tirait des coups de pistolet pour activer le galop. Depuis lors, avec les tangos et shimmys, peut-être ne sait-on plus l’art de se divertir dans les quiproquos et les spirituelles intrigues. Et puis ces pénitents du plaisir n’étaient pas égaux, puisque les hommes jouaient la partie à visage découvert. Une mascarade générale eût donné prétexte, sinon à plus de folie, du moins à plus d’illusions. On aurait pu espérer rencontrer Casanova ou tout au moins Arsène Houssaye, au lieu de ces jeunes gens sincères qui s’avouaient : « Ce serait drôle si les femmes savaient parler... » Et voilà un reproche qu’on ne leur fait guère qu’au bal de l’Opéra...

Ces messieurs, eux, n’étaient qu’eux-mêmes ; et leurs physionomies connues rappelaient aux femmes qu’elles n’avaient point cessé d’être, elles aussi, elles-mêmes. Or, une délivrance vraiment délicieuse, ce serait de pouvoir un instant l’oublier. Il faudrait boire, à l’entrée, quelque breuvage qui, durant une heure ou deux, abolirait le sentiment de la personnalité, et satisferait cet obscur désir qui nous tourmente et nous effraie, nous semble menaçant et reposant à la fois, cet inconscient et fort besoin, par moments, de n’être plus soi, qui met une tête de mort entre les mains du moine et un masque sur le joli nez encore vivant.


BALLETS

On va voir un ballet et on tombe dans une cabale. Les sifflets, les hurlements, les applaudissements, les vociférations, les clameurs composent dans une salle un « concert bruitiste. » Et cela fait deux divertissements au lieu d’un.

Pourquoi ce vacarme ? Il faut apporter à tout spectacle des yeux frais et une âme ingénue ou bien alors rester chez soi. Il faut, ô bon public, redevenir enfant, pour mieux laisser la sensation et l’impression venir à toi, sans les décourager d’avance par des idées préconçues. Pour ma part, d’un cœur