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Tu me regardas avec l’œil du prisonnier d’une double prison, — le vieux manuscrit et ta forme d’âne, — et tu me dis : « Délivre-moi. Conduis-moi vers Titania pour qu’elle me retrouve et me désensorcelé. Il lui suffirait de me cajoler un peu, comme dans Shakspeare, et je redeviendrais un jeune homme charmant. Pour cela il te faut d’abord arracher la page où je languis et l’emporter vite, vite, pour la livrer au vent d’orage. Eteins la lampe électrique, soulève la vitrine, subjugue l’administrateur et disparais ensuite promptement sous la pluie et sous les éclairs. »

Mais, hélas ! je ne pus rien pour toi ; et je m’en allai, l’orage ayant cessé, par un petit crépuscule humide, frais et zinzolin ; je te revoyais dans le miroir des flaques, qui, sur toute la place, de ci de là, luisaient. Le dôme du Panthéon prenait des airs romains sous de majestueux nuages, des hirondelles tournaient autour de la tour de Clovis. Le soir était doux comme une femme qui a pleuré. L’église exquise de Saint-Étienne du Mont étant close, je ne pus aller m’y purifier du sort que tu me jetas, pauvre âne, joueur de mandore.

Je dégringolai la rue de la Montagne Sainte-Geneviève en courant, comme si derrière moi j’entendais le bruit de tes sabots. Je pensais à l’Ane d’Apulée et à celui de Peau-d’âne et aussi à l’illustre Cadichon… Maintenant je revois en rêve tes oreilles penchées et veloutées, ton œil tendre et désespéré, et je me dis : « Oh ! qu’as-tu fait ? Qu’as-tu donc fait, pour devenir cet âne ?… »


LE BAL DE L’OPÉRA

Depuis que l’on est petit, on sait à n’en pas douter que le ciel est un endroit de délices, l’enfer un lieu de châtiment ; on sait aussi qu’au purgatoire on se purifie dans les souffrances et que, au bal de l’Opéra, on se distrait dans la malice et l’imbroglio, que l’esprit, la fantaisie, la farce, la grâce, l’imprévu et tous les caprices s’y cachent sous la barbe du loup et dans les plis du domino.

Depuis deux siècles il y a des bals à l’Opéra, et je n’y suis encore jamais allée ! Voilà bien des soirs perdus, et il n’est que temps de me rendre à mon tour au bal de l’Opéra.

Marmontel a dit, paraît-il, et je ne connais de lui que cette phrase : « Le monde est un bal masqué. » Or ce bal, dit « du