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cette exposition. Néanmoins je partis sous les nuages et j’arrivai au but en même temps que la foudre et la pluie ; le tonnerre grondait sur les vieilles pierres ; une obscurité lugubre m’environnait et rendait cette heure de moins en moins propice à la contemplation des vieux manuscrits. D’ailleurs, la salle en était close et le moment de la visiter depuis longtemps passé. Aussi mon désir ne cessait-il de grandir avec les obstacles et je sentais bien que j’allais considérer quelque chose d’étonnant.

Car le plus aimable des administrateurs voulut bien m’ouvrir la porte et, à la lueur de sa lampe électrique, — foudre complaisante et asservie, cependant que les éclairs zébraient de paraphes d’or l’horizon noir, — je pus contempler les belles pages des livres vénérables, et leurs caractères et leurs miniatures, leurs saintes et leurs saints et leurs longues dames habillées presque à la mode d’aujourd’hui, leurs martyrs et leurs floraisons, leurs architectures et leurs entrelacs, leurs rinceaux, leurs bleus et leurs ors, leurs vermillons, leurs verts, leurs orangés aussi frais que s’ils venaient d’éclore. Et je me penchais comme une sorcière ignorante sur ces si beaux grimoires et j’écoutais les dates et les noms avec une attention d’enfant.

Sur de hautes tablettes, tout autour de la pièce, des bustes de personnages illustres voulaient bien me considérer sans trop de froideur ; la pluie ruisselait en déluge ; mais je songeais qu’à l’entrée j’avais admiré, jouet immense, la réduction assez importante d’un bateau à voiles, et que, s’il fallait naviguer, je pourrais toujours y trouver place avec le plus aimable des administrateurs.

Et puis la vue du livre d’heures de Charles d’Orléans m’ayant remis en mémoire les vers consolants :


Le temps a laissé son manteau
De vent, de froidure et de pluie,


je crus de nouveau à l’apaisement des tempêtes et je fus toute aux ciels d’azur dont les paradis sont peints dans les livres pieux.

C’est alors qu’à la marge d’un bestiaire je te vis, cher âne, cher âne joueur de mandore dont tu froissais les cordes d’un sabot savant, cependant que tes oreilles insatisfaites semblaient dire, à demi penchées : « Je ne joue pas encore très bien cet air-là. »