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compte trois Allées ombreuses, sinon plus ; le petit tableau pouvait bien aussi...

— Quelle rancunière ! Allons, pardonnez-moi sous les Pins de la villa Pamphili.

— Soit ; avant de vous enterrer sous les Cyprès de la villa d’Este. Ces bassins, ces terrasses, ces cascades, ces escaliers... C’en est fait ; je me sens envahie par la nostalgie de l’Italie. Un train part-il ce soir ?

— Non, demain seulement.

— C’est trop tard. Tant pis. Fragonard n’a rien dessiné avec plus d’amour que les arbres ; ils vivent ; ils bruissent ; ils respirent ; ils sont pleins de force et de passion ; voyez donc si celui-ci n’a pas l’air de chérir celui-là. Quelle volupté végétale dans l’entrelacement de ces branches qui se rejoignent ! Quelle félicité circule avec le vent dans ces feuillages !

— Ne continuez pas, ou bien à peine serez-vous sortie que dans les Tuileries vous vous transformerez en platane.

— Je ne veux pas devenir un arbre de Paris, un pauvre arbre qui ne va jamais à la campagne.

— Là, là, calmez-vous et ne rompez pas votre ombrelle sur mon des pacifique.

— Mon ombrelle ? J’y songe tout à coup. Qu’en ai-je fait ? Je l’ai oubliée dans la voiture.

— Que je suis sot !

— De n’y avoir pas pensé à temps ou de m’y faire penser trop tard ? Dans le doute, n’y pensons plus ; nous n’aurons jamais le temps de contempler toutes ces sépias, ces sanguines, tous ces dessins ; il y a maintes scènes familières d’une grâce, d’un enjouement, d’une vie inouïe ; ah ! qu’on fait bien la culbute dans les compositions de Frago !

— Je regrette l’Escarlopette que Mme la comtesse de X... n’a pas prêtée ; beaucoup de collectionneurs ont refusé de se séparer de leurs tableaux ; il en manque et non des moindres... D’ailleurs les plus beaux sont au Louvre...

— Qu’avez-vous à geindre, puisque nous sommes déjà dans l’impossibilité de tout regarder ?

— Ce n’est pas un aussi grand peintre que Watteau.

— Là : j’en étais sûre. Le public vit de comparaisons ; il joue tout le temps à un petit jeu : aimez-vous mieux le ciel ou la terre, l’eau ou le feu, la Heur ou le fruit, la belle ou la bête ?...