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fait peur ; on dirait qu’il pense encore... Pourquoi y a-t-il tant de monde devant ce petit tableau dans ce coin ?

— Madame, parce qu’il n’est pas convenable.

— Que chantez-vous ? Fragonard est toujours convenable ; il a cela de commun avec la nature. Trouvez-vous indécents ces beaux nuages qui, sous les courtines du soleil couché, dessinent des formes étendues, ou enlacées ?

— Alors contemplez l’Instant désiré et même le Feu aux poudres...

La Résistance... Avouez que dans ce gonflement d’édredons et d’oreillers on ne sait plus très bien si ce ne sont pas là de plaisants cirrus enflés par le vent un jour d’été... La fête de Saint-Cloud... les Marionnettes...Tous ces sombres parcs me plaisent, m’attirent, en même temps qu’ils me montrent le peu que je suis... Oui, de tout petits personnages sous de grands arbres, nous ne sommes que cela, mon cher.

— Il faut voir le Taureau blanc, tableau très célèbre...

— Autant que le portrait de Diderot ?

— Vous n’êtes pas sérieuse.

— J’adore ces jeunes dames qui d’un dessin si libre, si moderne, annoncent déjà Manet et Constantin Guys ; voyez donc cet air de tête, ce bonnet, cette collerette, cette pose et son abandon...

— Et La lettre ? n’est-ce pas le plus charmant petit tableau du monde ?

— Oui, exquis ; et cette lumière argentée qui joue sur ce front semble la visible émotion donnée par la lecture : le rêve qui se précise et devient pensée.

— Devenez-vous philosophe ?

— Hélas ! non. Et je ne sais pourquoi la couleur, l’atmosphère de cette petite chose me fait songer à un bouquet de Renoir...

— Devenez-vous critique d’art ?

— Tout juste. J’en vois un près de moi, qui a fort bien parlé des Fragonard, M. Paul Alfassa... Il n’a pas entendu.

— Cette Jeune fille brune... la malice en personne : on l’embrasserait.

— C’est vous qui n’êtes pas sérieux. Moi, je suis amoureuse de ces arbres ; et plus encore dans les dessins ; oh ! ces dessins » ces ombres profondes !... A propos, remarquez en passant que l’on