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que ces palpitations d’un cœur sublime et qui souffre. Nul ne s’y peut tromper. C’est déjà vers Dieu que se hâte cette passion ; ce n’est qu’en passant, qu’elle heurte, frappe et crie en vain au seuil d’un autre être qui, faible et fuyante humaine, ne sait pas bien répondre à ce trop grave appel.

Ces accents à la fois si poignants, si emportés et si sincères, ne sont pas seulement l’histoire lyrique d’un amour malheureux ; ils n’expriment pas seulement la jeunesse et sa frénésie, le cristallin désir aux espoirs si tôt cassés, le bonheur dans sa brièveté toujours troublée d’appréhensions et de souvenirs, l’attente et son supplice, le regret et sa torture, mais surtout, ah ! surtout, l’immense solitude, l’espace où se fatigue une âme trop avide et trop aventureuse et que ne soutient pas encore la force de ses ailes ; surtout, ah ! surtout cette détresse de tendre toujours les bras inlassablement à l’ombre qui fuit ; surtout, ah ! surtout cette désespérance de toujours parler à qui est trop loin pour entendre ; cette consomption de flamme qui brûle et éclaire en vain, cette ferveur enfin qui toujours retombe parce qu’elle dépasse son objet ; flèche ardente, incessamment lancée, qui, ne pouvant se fixer au ciel, revient blesser notre propre cœur.

Oh ! tentative suprême ! Combat d’un Jacob et d’un ange ! Effort sacré auquel la déception perpétuelle n’enlèvera rien de sa noble beauté, car il porte en lui-même, en lui seul, sa vertu, son utilité, son achèvement. Qu’importe l’angoisse inutile et les larmes que nul ne comprend ? Ce qui s’y crée, ce qui y devient plus vivant que l’Eurydice qui les suscite, c’est cette souffrance, et sa sans égale beauté.

Je ne vais pas citer des passages de cette œuvre, car il faudrait tout entière la citer et tous et toutes la liront et liront aussi ces volumes de poèmes : La chanson d’Eliacin, La grappe de raisins, Sous le vocable du chêne, et les derniers Vers inédits où partout circule avec une force parfois un peu sourde et bouillonnante encore, telle la sève au printemps, un impatient génie. Je ne raconterai pas non plus la vie et la mort de Paul Drouot, charmant poète, ami fervent et soldat héroïque ; Henri de Régnier lui a consacré une très belle préface émue et Paul Régnier a fait de cette courte, glorieuse et douloureuse existence, pieusement, complètement, définitivement, une admirable biographie qu’il faut souhaiter voir très vite paraître en