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IMPRESSIONS ET FANTAISIES


PAUL DROUOT et Eurydice deux fois perdue [1].


Pourquoi, en tenant ce livre entre mes mains pieuses, ai-je tout à coup pensé à ce paysage d’Olympie où la vie et la mort semblaient à la fois rêver, étendues dans l’herbe si haute, — l’une qui parle, l’autre qui écoute, et laquelle ? — parmi les fleurs et les pures colonnes brisées ?

Non loin, au bord du torrent presque desséché, un pâtre qu’on ne voyait pas modulait un très aigu chant de flûte qui s’enfonçait dans la chaleur. Et cette chaleur, ardente, absolue, pareille à un désespoir jamais étanché, trop intolérable pour être au repos, ne cessait pas de créer des abeilles ; elles erraient, bourdonnaient, butinaient, sans nombre et dorées, comme le bruit naturel de la lumière. Et cette lumière oignait le contour des petites collines et huilait, comme pour leur rendre leur force, les fûts tombés, allongés dans la florissante prairie, et desquels l’esprit, loin de recevoir la sensation des choses abolies, imaginait facilement, simplement, l’élan harmonieux vers le ciel.

J’y ai pensé en lisant et relisant, une fois de plus, cette Déchirante Eurydice. J’y ai pensé, sans doute, pour la brûlante poésie de ces fragments qui seront immortels ; pour leur pureté, qui, elle aussi brisée, élève malgré tout ce temple d’amour et de douleur. Temple passé ou temple à venir, qu’importe ? puisque tout ce qui est beau se rejoint dans le temps. J’y ai pensé, mais non pas à cause du titre mythologique. Car rien de moins païen

  1. Paul Drouot, Eurydice deux fois perdue, précédée d’une préface de M. Henri de Régnier publiée par la Société Littéraire de France. Paris.