Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 64.djvu/547

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On ne saurait en tout cas s’exagérer les heureuses conséquences de cette suite de victoires défensives. L’Allemand repoussé de la trouée de Charmes et des hauteurs du Grand-Couronné, ce n’est pas seulement Nancy sauvé et notre région de l’Est préservée ou libérée de l’invasion ; c’est le plan de Schlieffen irrémédiablement ruiné et l’une des deux pinces de la formidable tenaille allemande définitivement brisée ; c’est le « pivot » de la manœuvre française assuré et la victoire de la Marne rendue possible. Résultat admirable, surtout si l’on songe à l’initiale disproportion des deux forces matérielles en présence, et auquel ont coopéré trois facteurs essentiels : d’abord l’extraordinaire qualité d’une troupe, à laquelle son chef a su insuffler son héroïsme, son énergie et sa confiance et à laquelle il ajustement et publiquement payé « le tribut de son admiration profonde et de son éternelle gratitude ; » puis la supériorité morale et la cordiale fraternité d’un corps d’officiers unique au monde par son ardeur de sacrifice, son humanité, sa souplesse d’intelligence, et d’où se détachent des personnalités comme Foch et Fayolle, Balfourier, Ferry et Léon Durand ; et enfin la constante action directe et personnelle, « de jour et de nuit, » d’un commandant d’armée, dont la volonté, la lucidité, l’imagination réaliste, l’esprit d’organisation, la vigueur d’intuition et de décision, le stoïcisme chrétien sont à la hauteur des situations les plus complexes et les plus tragiques.

A ce chef complet il avait fallu annoncer, en pleine bataille, la mort d’un fils, puis la disparition d’un autre. Le 13 septembre, il recevait encore la nouvelle que son fils aîné, Gérald, avait été tué sur la Marne. La destinée frappait sur lui à coups redoublés. « Il n’en a pas moins continué à exercer son commandement avec énergie, » affirmait sobrement le décret qui, cinq jours plus tard, élevait le général de Castelnau à la dignité de grand-officier de la Légion d’honneur. Jamais le malheureux père n’avait plus profondément éprouvé la vanité des « grandeurs de chair. » « Cela ne me touche plus, écrivait-il : j’ai trop de chagrin dans le cœur. »


VICTOR GIRAUD.