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dans la nuit, les ordres essentiels expédiés, un de ses officiers annonce au général son malheur, et chacun laisse ce cœur si tendre s’ensevelir dans sa douleur paternelle. Le mot fameux : « Continuons, Messieurs, » ne fut prononcé que le lendemain, en réponse aux sympathies attristées de son entourage. Il a été surtout appliqué à la lettre.

Car, bien loin de se laisser décourager par l’échec qu’il vient d’éprouver, et qu’il avait d’ailleurs prévu, confirmé par ses revers mêmes dans ses vues et ses pressentiments d’avant-guerre, le général de Castelnau ne rêve que de prendre sa revanche. Sur ce terrain qu’il connaît admirablement et dont il a exploré toutes les ressources, il se propose maintenant de livrer une bataille défensive, — celle-là même qu’il avait conçue en temps de paix et à laquelle il s’était préparé : couverte par les défenses du Grand-Couronné, son armée sera tenue prête à combattre sur les positions de Nancy et de Saffais-Belchamp, la gauche à la Moselle, la droite refusée vers Bayon. Cette bataille, il ne sait pas encore, ainsi qu’il l’écrit au général Joffre (21 août, 6 heures 30) si l’ennemi lui laissera le temps de la préparer, mais il va prendre toutes ses dispositions en conséquence. Dès le 16 août, prévoyant la forme qu’allait prendre la guerre moderne, il avait prescrit de faire le plus large emploi de la fortification de campagne, réagissant de son mieux contre les préjugés et les habitudes alors en honneur dans l’armée française, contre la répugnance instinctive du troupier à « remuer de la terre, » ne cessant de répéter : « Qu’on s’installe, qu’on s’asseoie, qu’on s’organise, » faisant vérifier chaque jour si ses ordres sont exécutés, intervenant fréquemment lui-même d’une façon particulièrement pressante. Il redouble d’objurgations et de prescriptions, et sous son active impulsion, les organisations promptement s’improvisent sur tout le front.

Très éprouvé lui-même, quoique vainqueur, par les combats des 19 et 20 août, l’Allemand n’a pas poursuivi avec vigueur ses avantages. Dès le 21, le contact est rompu entre les deux armées. D’autre part, la valeureuse résistance des arrière-gardes du 16e et du 20e corps, le 22 août, permet au chef de la 2e armée de regrouper ses forces comme il l’entend. Le soir du 22 août, toutes les troupes sont en place, la retraite est achevée, et malgré l’incertitude où il se trouve encore sur la situation de la 1re armée et sur les intentions de son chef, le général de