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différent. On y professait le dogme de l’offensive à outrance, — de l’offensive que l’on confond avec l’esprit d’offensive, — de l’offensive « poussée jusqu’au bout, sans arrière-pensée, » « au prix de sacrifices sanglants, » « en dépit des obstacles et des accidents inévitables. »

Or agir offensivement, en Lorraine, avec des moyens limités, sans l’artillerie lourde, dont il avait envisagé l’emploi, dans cet étroit couloir, dépourvu de perspectives stratégiques, sur un terrain très difficile, barré d’organisations défensives extrêmement fortes, sous la menace formidable de la place de Metz, c’était, aux yeux du général de Castelnau, aller au-devant de très graves difficultés. Mais un soldat n’a pas à discuter les ordres qui lui sont donnés ; il n’a qu’à les exécuter de son mieux. Renfermant donc en lui-même ses impressions personnelles, il s’installe à Neufchâteau avec l’Etat-major d’élite qu’il a lui-même formé, et dont le chef est le général Anthoine, et il prépare avec une méthodique et puissante activité les opérations qu’il aura à diriger. D’abord, il pousse avec vigueur les travaux de défense de Nancy et des deux Couronnés. Puis il prend contact avec ses hommes, officiers et soldats, au fur et à mesure qu’ils débarquent, se montrant partout, interpellant et encourageant les hommes, sachant trouver de ces mots qui réconfortent les troupiers et les attachent à leur chef, veillant à leur installation matérielle, bref, faisant sentir à tous sa présence réelle, sa ferme et paternelle autorité, communiquant à tous la généreuse ardeur qui l’anime, sa foi mystique dans les destinées de la Patrie. La mobilisation, qu’il a si minutieusement préparée, s’exécute comme il l’avait prévu, sans heurt, sans fièvre, avec la parfaite précision d’un mécanisme d’horlogerie, première victoire remportée par l’intelligence française sur la légendaire organisation allemande.

Les hommes arrivent de partout, mais surtout du Midi, « plus nombreux qu’on ne l’avait pensé, » « après un parcours de quarante-huit, et même de soixante heures, transportés dans d’inconfortables wagons à bestiaux. Une poussière épaisse et noirâtre s’attache à leurs mains et à leurs visages. Les membres sont engourdis, les corps sont courbaturés, la tête est vide, et pourtant, pas un murmure, pas la moindre protestation. » « On est là pour cela ! » déclarent-ils. A la froide résolution des hommes correspond chez les officiers une ardeur de sacrifice,