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de sa profession, il suivait avec une ardente attention le travail de reconstitution matérielle, intellectuelle et morale que, sous la direction de quelques grands soldats, s’imposait l’armée française ; il applaudissait aux heureuses initiatives patriotiques de Gambetta. Enfin, convaincu que, pour bien remplir sa fonction, il faut être au-dessus de sa fonction, et qu’une haute et large culture est nécessaire à qui veut commander les hommes, il travaillait avec acharnement, poussait ses études et ses lectures en tous sens, se reposant de ses livres d’histoire par des ouvrages de philosophie religieuse, annotant, écrivant, méditant, bref, essayant de se former sur toutes les questions qui se posaient à lui une opinion personnelle et réfléchie. Suivant d’instinct le mouvement qui, vers la même époque, poussait un Brunetière, un Sorel, un Hanotaux, à se tourner vers les grandes œuvres ou les grandes périodes de notre histoire, pour leur demander des modèles ou des enseignements, il étudie sans relâche les campagnes de Turenne et de Napoléon : Turenne, vers lequel le portent toutes ses affinités électives, et qui lui enseigne l’art précieux de « ne rien laisser au hasard de ce qu’on peut lui enlever par conseil et par prévoyance ; » et Napoléon, « le maître des maîtres, » dont les Mémoires, achetés sur sa maigre solde, vont devenir son livre de chevet, et qui sera son grand professeur de tactique et de stratégie. Toutes les autres influences qu’il pourra subir ne feront que renforcer ces deux-là.

Et dans ses diverses garnisons, Bourg, Givet, Ham, Laon, il prépare le concours de l’Ecole de guerre où il est admis en 1878. Il tira un grand profit de l’enseignement fort élevé et suggestif qu’il y reçut. Les solides et pénétrantes leçons de Camille Rousset sur Richelieu et sur Mazarin l’amenèrent à prendre nettement conscience de ce qui sera l’une de ses idées maîtresses : la nécessité de ne pas concevoir la guerre comme une province indépendante et isolée de l’activité humaine, mais bien au contraire comme une des formes et un des moyens de l’action politique entendue au sens le plus haut et le plus général du mot ; d’où l’obligation, pour « la conduite de la guerre, » de vues très précises sur la situation d’ensemble, sur le but à poursuivre, bref, d’une vraie « politique de guerre, » nette, souple, continue, cohérente. Cette idée, à la fois si simple et si profonde, mais que tant de militaires professionnels,