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est lui-même insuffisamment outillé. Il a à sa tête un fonctionnaire distingué, qui a été préfet de Constantine et qui connaît, par conséquent, les choses algériennes, mais, faute d’un crédit de cinq mille francs, on n’a pu donner à ce modeste organisme les moyens d’action qui lui manquent. Il parait qu’il est impossible de trouver cette petite somme dans les milliards du budget.

Peut-être la trouvera-t-on pendant les vacances. Les Chambres parties, les ministres vont avoir plus de liberté pour travailler. La besogne ne leur manquera pas : finances publiques, situation économique, politique extérieure, tout commande leur vigilance. Ne nous faisons pas d’illusions. Lorsque l’ennemi était à nos portes et que des obus ou des bombes sifflaient jour et nuit sur Paris, nous avions une notion concrète et permanente du danger que courait la France. Aujourd’hui que la Bertha est détruite et que les avions ont disparu, nous avons tendance à nous croire sauvés. Le vague malaise que nous éprouvons ne nous paraît pas mortel et nous pensons qu’il passera tout seul avec le temps. « Souriez, nous disent les optimistes professionnels, et votre sourire aura raison de tout. » Mais non. Si nous ne réagissons pas, nous tomberons de l’affaiblissement dans la torpeur et de la torpeur dans la catalepsie. Réagir, c’est travailler, c’est produire, c’est assainir nos finances, pratiquer des économies féroces, simplifier nos administrations, réformer impitoyablement les abus ; c’est faire sentir au pays, avec la joie de la paix, la fierté de la victoire ; c’est lui donner le sentiment que les Alliés ne restent pas inertes et passifs en face d’une Allemagne qui reprend peu à peu ses habitudes d’insolence et qui s’entête à déchirer le traité qu’elle a signé ; c’est exiger que ne se continue pas à Leipzig l’abominable comédie judiciaire dont nous avons été jusqu’ici les témoins ; c’est en finir avec les concessions que, depuis deux ans, nous n’avons pas cessé de consentir à l’Allemagne ; c’est contraindre le Reich à désarmer complètement, prendre, s’il le faut, les gages nécessaires pour obtenir notre dû, et faire de la paix, qui, pour le moment, n’est qu’un mot, une réalité.


RAYMOND POINCARÉ.


Le Directeur-Gérant :

RENÉ DOUMIC.