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intentionnée. Ce frère est proprement odieux. Le soupçon aurait dû naître de lui-même dans L’esprit inquiet du fou mal guéri. Et je sais bien que toutes les anomalies se rencontrent dans le détraquement de notre pauvre machine humaine. Le docteur Landouzy aimait à répéter qu’il n’y a pas de maladies, il y a seulement des malades. Toutefois, ce n’est pas l’ordinaire que les fous se promènent en répétant qu’ils sont fous et raisonnant sur cette donnée. Peu importe : lucide ou non, ce fou qui court après ses souvenirs, s’efforce à ressaisir des bribes d’idées et à rattraper sa raison en déroute, ne laisse pas de faire un spectacle pénible et fort déprimant. M. Jean Sarment, interprète de ses propres pièces, excelle dans ces rôles de malade. Il aurait bien tort de s’y attarder et de s’y limiter. Le souhait que nous formons, c’est qu’il consacre son double talent d’acteur et d’auteur à un art plus large et plus sain, qui lui vaudra le grand succès auquel il peut prétendre.

Aux Escholiers, trois actes de M. J.-J. Bernard qui témoignent d’un réel sens du théâtre. Le Feu qui reprend mal, c’est la difficulté qu’ont eue quelques-uns des plus braves parmi les combattants à se réadapter à la vie civile, et quelques-uns des meilleurs foyers d’avant-guerre à reprendre la douce chaleur d’autrefois. Une jeune femme, restée parfaitement fidèle à son mari, a logé chez elle un officier américain pour qui elle n’a eu que les coquetteries permises. Le mari, qui revient des prisons d’Allemagne, est hanté par ce souvenir, travaillé par un soupçon qu’il rougit de formuler. Cela irait jusqu’à une rupture, si, à l’instant où les deux époux vont mettre entre eux de l’irréparable, la vérité de leurs sentiments ne se faisait jour et ne reprenait ses droits. On souhaiterait parfois au dialogue une forme un peu plus recherchée. C’est la vigueur avec laquelle sont traitées quelques scènes maîtresses, qui a fait le succès de la pièce. M. J.-J. Bernard est de ceux dont nous aurons plaisir à beaucoup attendre.


RENÉ DOUMIC.