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REVUE DRAMATIQUE


Comédie-Française : Un Ennemi du peuple, drame en cinq actes d’Henrik Ibsen, traduit par le comte Prozor. — Théâtre de l’Œuvre : Le Pécheur d’Ombres, pièce en quatre actes, par M. Jean Sarment. — Les Escholiers : Le feu qui reprend mal, pièce en trois actes, par M. Jean-Jacques Bernard.


Donc, voilà Ibsen à la Comédie-Française. Il y est entré avec éclat et sans scandale, comme une gloire incontestée, à l’applaudissement universel. Les purs ibséniens en ont éprouvé un peu de mauvaise humeur. Esprits d’élite, qui ne l’ignorent ni ne s’en cachent, ils n’aiment pas beaucoup être de l’avis de tout le monde. Il leur plaît que leur dieu soit entouré de quelques nuages ; ils préfèrent l’adorer dans la tempête. La belle représentation de l’Ennemi du peuple, que vient de donner la Comédie-Française, s’est déroulée avec une lenteur majestueuse dans une atmosphère de sympathie, devant un public attentif, intéressé, ému et respectueux de cet art austère et probe. Ceux de la première heure se rendaient compte qu’Ibsen a cessé d’être leur propriété. Et pour peu qu’on ait été du temps de l’initiation, sous les auspices d’Antoine et de Lugné Poë, on ne pouvait manquer d’être frappé du contraste. Où étaient ces représentations d’il y a trente ans, dont chacune prenait des airs de révélation et soulevait de si beaux tapages ? Trente ans sont un grand espace de temps en littérature. L’esprit français s’est familiarisé avec ces littératures du Nord. Le théâtre d’Ibsen a perdu sa crudité de vin nouveau : le temps l’a décanté : il en a dégagé une saveur voisine de certains crûs de chez nous.

Le changement de l’interprétation est, lui aussi, pour beaucoup dans cette différence d’impression. Les premiers interprètes d’Ibsen étaient avant tout soucieux de paraître ibséniens, très ibséniens : ils en