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que flamblaient les feux de bengale ; tandis que du haut des balcons des journaux les speakers, armés de porte-voix gigantesques, annonçaient les péripéties tant attendues, à la foule sur qui pesait le lourd silence de la désillusion. C’était beau, un peu enfantin et un peu triste.

Mais enfin la France n’est pas perdue pour si peu. Ce résultat ne suffit même pas à prouver la supériorité de la race américaine. Sinon, retournant l’argument, on pourrait, du fait que Jack Johnson fut naguère et longtemps le champion de boxe incontesté, conclure à la supériorité de la race nègre : et, de cette conclusion, nos amis américains seraient marris. Il est des raisonnements qu’il ne faut point dégainer hors de propos, car ils sont à double tranchant. Sur le ring international d’ailleurs, la France a gagné quelques championnats qui comptent aussi, et nos amis américains, — si féconds pourtant en grands hommes, — n’ont pas trouvé meilleur champion que Pasteur en bactériologie, Bizet en musique, Claude-Bernard en physiologie, Lamarck en zoologie, Henri Poincaré en mécanique céleste, Racine ou Baudelaire en poésie, Descartes en géométrie, Lavoisier en chimie, ou Foch dans ce pugilat collectif que règle la stratégie.

Apprenons pourtant à méditer la leçon de cette défaite sportive. Cette leçon est peut-être ceci : il faut encourager nos jeunes hommes à cultiver leurs corps et à embellir leur adresse et leur force. La France le veut, non seulement parce qu’il faut que ses enfants soient sains et vivent longtemps, non seulement parce que, dans ce monde de fer, la guerre n’est point morte, qui exige des muscles d’acier, mais aussi parce que, — les Grecs l’ont prouvé, — les fleurs délicates et fines de la poésie et de la science naissent plus aisément dans les cerveaux qui couronnent des corps sains, robustes et beaux.

Mais surtout qu’on ne méprise point l’athlétisme. Il ne faut rien mépriser. Et qu’aucune indignation mal informée ne vienne plus gêner chez nous, dans son essor, la boxe, sport utile et inoffensif, et qui n’est après tout, lui aussi, que l’échange de deux fantaisies et le contact de deux épidermes.


CHARLES NORDMANN.