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Amérique l’hégémonie sur la vieille Europe. Certes. Mais ce qui assure cette hégémonie ce sont les puissances matérielles, c’est avant tout l’argent. Où sont les balances qui permettront de mesurer si la valeur intrinsèque de celui-ci est supérieure ou non à celle d’un avantage sportif ? C’est un fait certain, — qu’on le déplore ou non, — que la victoire naguère de Carpentier sur le champion anglais Becket a fait autant, sinon plus, pour notre prestige en Grande-Bretagne, que maintes palabres cousues solennellement de fil diplomatique.

Pour en être sûr, il suffit d’avoir pénétré dans quelques familles anglaises — si haut placées soient-elles ; — il suffit même d’avoir été vingt-quatre heures à Londres et d’y avoir vu, aux devantures, la photographie de Carpentier voisinant, à égalité, avec celle du prince de Galles. Il ne faut point mépriser quiconque a été, par quelque moyen que ce soit, le bon ambassadeur du nom français. Quand nous habituerons-nous à considérer les choses et les peuples tels qu’ils sont, et non tels qu’ils devraient être ?

Carpentier a connu toutes les ivresses de la gloire. Il a possédé et il possède encore ce signe si rare de la vraie renommée : être appelé dans le public par son prénom sans plus. On dit « Georges, » comme on disait l’autre siècle « Jean-Jacques. » Mais il a trop d’esprit — car il a une réelle vivacité et bien française — pour ne pas saisir qu’un coup de poing, si adroit et si fort qu’il soit, rencontre quelque jour un coup de poing plus fort encore, ou simplement une mâchoire résistante ce qui revient au même. Il sait aussi que le plus fort coup de poing de la terre ne vaut pas le coup de pied asséné par un quadrupède, comme celui de la mule dont Alphonse Daudet nous a si gentiment conté l’histoire, et qu’il n’est point de mâchoire humaine qui vaille par la résistance celle dont Samson fit belliqueux usage.

Il sait aussi qu’un revolver manié par un bambin aura toujours raison de l’athlète le plus résolu, et que par conséquent c’est le cerveau qui, toujours et en fin de compte, règle, non seulement les choses de la pensée mais celles de la force brutale. Son honneur et son mérite et la cause de tous ses succès passés, sont précisément d’avoir mis dans le noble art de la boxe tout ce qu’il peut enfermer d’intelligence, de pensée vive et française. Ce n’est pas peu et cela suffit à justifier la popularité du jeune boxeur.

Telles étaient les réflexions qui m’assaillaient l’autre soir tandis que sur Paris, dans la limpidité calme d’un soir d’or, les avions annonciateurs laissaient tomber sur la foule grouillante des rues, les fusées blanches précisant l’issue du combat ; tandis que hurlaient les sirènes,