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boîte crânienne placée devant l’oreille. Or, à cet endroit, les os de la base du crâne sont creusés de cavités qui amplifient les vibrations exactement comme fait la boîte d’un violon. De plus, cette région est voisine de l’oreille interne dont le liquide est ébranlé par ces vibrations et qui préside comme on sait à l’équilibre de l’homme debout. Or on sait que des vertiges allant jusqu’à la chute avec perte de connaissance sont causés dans certaines maladies par un déséquilibre de l’oreille interne. C’est ce qui se produit dans le knock-out, avec perte momentanée de la conscience et impossibilité de se tenir debout. De là ces expressions : « envoyer au pays des rêves, » « endormir, » qu’à propos du knock-out de Carpentier on a lu si souvent dans la presse il y a quelques jours.

N’est-il pas vrai que la boxe est une chose bien intéressante, même pour les physiologistes ? Et n’est-il pas vrai aussi que c’est une science utile, celle qui, d’un petit coup très léger mais appliqué savamment, permet à un homme fluet d’étendre à ses pieds sans connaissance pour quelques instants, et sans d’ailleurs lui faire le moindre mal, la brute la plus puissante ?... A moins que très exceptionnellement, — c’est bien rare, mais ce fut le cas de Dempsey et cela explique son succès, ses succès, — le coup de poing fatidique, si exactement appliqué qu’il soit, ne se heurte à une mâchoire réfractaire, à une oreille interne qu’aucun choc n’ébranle. C’est ce que dans l’argot de la boxe, — dans cet argot qui est en passe de devenir populaire, et que l’Académie quelque jour devra peut-être admettre aux honneurs de sa séance, — on appelle « encaisser. »

Une autre cause encore explique l’engouement stupéfiant, la surexcitation du public pour les combats de boxe. C’est du théâtre, c’est le spectacle d’un conflit ! Pourtant il n’est guère de pièce de théâtre qui puisse attirer 90 000 spectateurs frénétiques et agiter à distance des millions d’autres hommes, comme fit le match du 2 juillet. C’est peut-être que l’éducation littéraire du grand public n’est pas encore faite. C’est peut-être aussi que les chefs-d’œuvre au théâtre sont rares, et que d’ailleurs on sait avant le lever du rideau que la pièce est déjà faite ne varietur, tandis que dans la boxe tout est imprévu même des acteurs, et que la pièce se fait dans le même moment qu’elle se joue. On ne peut voir une pièce de théâtre qu’une seule fois pour la première fois : tout combat de boxe est une pièce qui est toujours une première.

On a dit que la défaite de Carpentier n’est pas un deuil national et n’assure pas définitivement ni même provisoirement à la jeune