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peut avoir affaire de telle sorte à une brute qu’à moins de pratiquer la théorie du « trop fier pour se battre, » théorie un peu démodée, on soit amené à la corriger. Cela, la pratique modérée de la boxe le permet. On n’a point idée de la supériorité qu’a contre le plus terrible assommeur de bœufs un homme fluet qui a « mis les gants » ne fût-ce qu’une dizaine de fois. Ainsi à cet égard la boxe apparaît finalement comme un moyen de corriger les injustices corporelles, comme l’arme des faibles, la défense contre la brutalité. Car il suffit d’avoir fréquenté tant soit peu les hommes qui ont vraiment la pratique de la boxe, — comme de l’escrime d’ailleurs, — pour savoir qu’il n’y a pas moins batailleurs que ces hommes ; c’est qu’ils savent exactement ce qu’ils risquent et qu’il y a toujours une grosse part d’inconnu en tout cela.

Ceci contribue déjà à nous faire comprendre en partie le succès inouï de ce sport. Il y a d’autres raisons encore. Si grâce à Homère et à Virgile nous pouvons espérer que la boxe ne doit plus compter les lettrés parmi ses méprisants ennemis, il est certain que les artistes ne peuvent que l’aimer, car nous lui devons quelques-uns des plus beaux chefs-d’œuvre humains. Il n’est point de sport qui, mieux que celui-là (car toute la musculature y participe), contribue à former des athlètes harmonieux chez qui la force et la souple et fine élégance soient exactement équilibrées, sans que l’une l’emporte trop sur l’autre comme il arrive chez les lutteurs par exemple, ou, de l’autre côté de la barricade, chez les coureurs. Et on a beau dédaigner mystiquement la matière, « guenille si l’on veut, ma guenille m’est chère, » la beauté plastique, révérée de la Grèce à son apogée plaira toujours aux amants de l’art. D’autant qu’en somme cette beauté-là n’a jamais été exclusive de la beauté morale, ni de la beauté intellectuelle. Enfin quel artiste ne bénira la boxe puisque c’est à elle que nous devons les admirables modèles de pugilistes dont les plus grands statuaires de la Grèce ont orné des voies fameuses et notamment le chemin qui conduisait ! du Métroüm au Stade ? Les chefs-d’œuvre qui nous restent de Myron, de Polyclète, de Lysippe, ces géniales et harmonieuses silhouettes de pugilistes, c’est à la boxe que nous les devons

Si les combats de boxe plaisent tant au public, c’est pour tout cela ; c’est aussi pour ceci : Rien ici-bas ne donne au même degré, et avec aussi peu de cruauté réelle, les émotions du jeu, celles de la bataille, celles du drame. La plupart de ceux qui dénigrent la boxe ignorent que ses règles en font un jeu tout à fait et réellement inoffensif. Les poings des boxeurs sont garnis de gants volumineux qui