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point de vue de Sinus les petites agitations terraquées. Par où l’on voit qu’il n’est pas jusqu’à l’astronome qui ne doive être ému par le match Carpentier-Dempsey.

D’où est venu l’extraordinaire intérêt suscité dans toute l’humanité en général, dans tout le public français en particulier, par cet événement ? Est-il, comme le disent les pessimistes, les grincheux et quelques idéalistes assurément bien intentionnés, l’indice d’une dégénérescence barbare de l’humanité ? Est-il au contraire, comme le disent, de l’autre côté de la barricade, les apologistes du pugilat, le signe d’un perfectionnement nouveau de l’espèce humaine et auquel l’avenir et la grandeur de la nation française sont attachés ? C’est ce que je voudrais m’efforcer d’examiner brièvement avec cette impartialité que suggère le haut conseil spinosiste : Nil admirari, nil indignari, sed inlelligere ; c’est ce que je voudrais étudier un peu ici, en me gardant également des dénigrements du préjugé mal informé et des enthousiasmes simplistes.

La boxe, nous dit Littré en son dictionnaire, est « une sorte de pugilat anglais. » C’est un peu court comme définition. En outre ce n’est pas historiquement tout à fait exact. Il est vrai que le pugilat sportif (pugilat, étymologiquement, veut dire combat à coups de poings) a, dans le monde moderne, pris son essor en Angleterre, surtout à partir du XVIIIe siècle ; mais bien auparavant nos voisins britanniques pratiquaient et aimaient ce sport, puisque, dans je ne sais plus quelle pièce de Shakspeare, on voit le héros gagner le cœur et la main d’une jeune princesse pour avoir fait habilement le coup de poing en sa présence. En réalité la boxe n’est pas plus née en Angleterre que l’art dans l’Italie du XVe siècle… si j’ose faire cette assimilation dont je supplie qu’on ne s’effarouche pas. La vérité est qu’elle était très pratiquée et hautement honorée dans l’antiquité gréco-latine, et que l’avènement moderne de la boxe en Angleterre n’a été lui aussi qu’une Renaissance.

Parmi les exercices gymniques où les jeunes Grecs et les athlètes luttaient de force et d’adresse aux Jeux Olympiques, le pugilat occupait une place importante. La boxe s’appelait Pugmachia, mais c’était déjà la boxe. Les pugilistes s’enduisaient d’huile et combattaient jusqu’à la mise hors de combat de l’un d’eux, dans des reprises séparées par des intervalles de repos et dont les conditions et conventions paraissent n’avoir pas été extrêmement différentes de celles des combats modernes. Leurs poings étaient revêtus du ceste, sorte de gant formé de lanières de cuir entrelacées.