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qu’il était un gai compagnon, franc luron, toujours en fête. Elle montre des existences sans inquiétude : il a connu un temps et un pays calme où les saisons se succédaient, dans un ordre parfait. Une vie de galanterie champêtre en des costumes négligés et flottants ; donc il a vécu sous le règne de la Pompadour ou de le du Barry. Elle met en scène des comédiens et des mimes : il suivait les troupes dramatiques et ne quittait guère les coulisses. Elle contient parfois des arrière-plans rocheux et de hautes montagnes : donc, il venait des Alpes ou des Pyrénées, ou au moins il y avait voyagé. Enfin, elle apporte, sur tous les points, sujet, composition, dessin, couleur, facture, une note entièrement nouvelle rompant avec les traditions de l’École : il a donc été en butte aux persécutions de l’Académie, incompris, méconnu, bafoué des grands seigneurs et seulement réhabilité par les générations qui l’ont suivi... Mais c’est justement le contraire qui est arrivé. Ce novateur, le plus grand depuis la Renaissance, ne s’est nullement préoccupé d’innover. Cet original n’a pas eu conscience de son originalité ; en tout cas, il ne l’a pas affichée : il a proclamé, en toute occasion, son respect des maîtres et son désespoir de ne les point égaler. Et le succès ne lui a jamais fait défaut. A vingt-cinq ans, il vend déjà ses tableaux assez cher pour l’époque. A vingt-sept, il est agréé membre de l’Académie royale et le Président lui dit : « Mon ami, vous en savez plus que nous. » Quand il y apporte son Embarquement pour Cythère, aux académiciens ses aînés, au Duc d’Orléans, présent à la séance, c’est un triomphe. Des financiers, le Régent, lui achètent ses œuvres. On lui en demande, on lui en commande de tous côtés. Il ne devient pas riche, parce qu’à cette époque, les peintres les plus admirés ne le sont guère, sauf parfois les faiseurs de portraits, et parce qu’il ne prend guère souci de ses affaires, mais le prestige ne se mesure point à l’argent et le sien est impérieux. A peine a-t-il peint un plafond de boutique pour son ami le marchand de tableaux, Gersaint, que les plus habiles confrères viennent sur le Pont Notre-Dame l’admirer. Tout le monde comprend cet art nouveau : lui seul en est mécontent. A sa mort, le Mercure d’août 1721 dit : « Sa mémoire sera toujours chère aux amateurs de peinture. Rien ne le prouve mieux que le prix excessif auquel sont aujourd’hui ses tableaux de chevalet et petites figures. » Et M. de Julienne son ami, dans la biographie qu’il lui consacre en tête du recueil d’études qu’il a fait graver,