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et les somptuosités que les soleils d’été déposent peu à peu sur les campagnes. Watteau, a côté d’eux, flamboie comme une vigne vierge sous le ciel d’octobre auprès d’ifs luisants et austères. Et ses ligures elles-mêmes semblent vêtues de feuilles mortes, avec toutes les splendeurs des marronniers, des acacias, des peupliers, des sorbiers, des saules, des châtaigniers, des chênes.

La facture est aussi très nouvelle, vive, franche, emportée, en pleine pâte, les tons purs posés avec hardiesse les uns à côté des autres, reliés seulement plus tard par les glacis très faibles, de la peinture en sillons nettement tracés, visibles encore malgré la patine des années mais d’une subtilité infinie. Jamais un espace appréciable couvert exactement de la même teinte : un parfilage, un effilochage de la couleur, comme un écheveau fourmillant de mille laines diverses dont l’ensemble vibre à l’œil comme un rais de lumière. Watteau fait cela le premier en France. Il est suivi par tout le monde au XVIIIe siècle, mais les autres n’ont pas sa finesse d’œil, partant son harmonie. On ne peut lui comparer que Fragonard. Puis, un jour, on revient à la peinture lisse et mince, obtuse et bouchée de l’Ecole de David. Quand vous êtes devant le Gilles, et l’Assemblée dans un parc, salle Lacaze, regardez à votre gauche dans le lointain, encadré par la porte, les Sabines : vous mesurerez la différence. Là-bas, c’est du bois verni, de l’ébénisterie : ici, c’est de la peinture.

C’est la peinture même et ce sont les effets que les écoles coloristes de tout temps, et notamment de notre temps, les impressionnistes-luministes se sont efforcés de réaliser. Ils n’y ont pas mis tout ce qu’y avait mis Watteau, mais ils ont ainsi rendu hommage à ses découvertes dans l’ordre chromique. Sa couleur, plus encore peut-être que toute autre chose, est une préfiguration de l’Art moderne.


IV

A-t-elle été comprise, dès l’abord, et l’artiste en a-t-il joui ou souffert ? Si l’on n’avait pas tant de témoignages sur Watteau, immédiats, précis, concordants, et si l’on raisonnait par déduction d’après son œuvre, que dirait-on ? Elle est immense, tant en peintures qu’en dessins. On déclarerait que l’auteur a vécu très vieux. Elle est divertissante et n’a d’objet que le plaisir : donc