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vont fouiller des musées et des bibliothèques, remuent des estampes et des monuments, font au loin des voyages... Mais ni les bibliothèques, ni les musées ne leur révéleront le grand trait original de Watteau pour la raison que, s’ils le contenaient, Watteau ne serait plus original. Il serait un excellent artiste à la suite, comme cent autres. Les méthodes des exégètes occupés à rechercher ce qu’ils appellent les « influences » sont bonnes pour expliquer les disciples. Elles ne valent rien pour les maîtres. On ne peut expliquer un artiste par ses maîtres que s’il leur est, en tout point, inférieur ou semblable. Mais s’il leur est supérieur ou s’il en est différent, — ne fût-ce qu’en un point, — comme c’est par ce point précisément qu’il mérite d’être, c’est ce point et non un autre qu’il s’agit d’expliquer. C’est ainsi que les « influences » nous apprennent tout chez un artiste, excepté justement ce qu’il faudrait savoir. Or, ce quelque chose, qui n’est nullement chez les maîtres qu’a étudiés Watteau, même s’ils sont plus grands que lui, comme Rubens, ces attitudes familières et savoureuses vraiment nouvelles, ces gestes fins et infiniment nuancés, où de la nuque aux talons chaque trait exprime, sans aucune exagération, le frémissement de la vie, où les a-t-il pris ?

Ne cherchons pas loin. Il les a pris là où tous les maîtres les étaient allés chercher : dans la nature. Il en a tiré autre chose que les plus grands eux-mêmes, parce que la nature est un inépuisable fonds et que les moindres trouvailles qu’on y fait sont encore assez précieuses pour enrichir le trésor de l’Art, même après Titien, après Véronèse, après Rubens, après van Dyck. Mais il n’a eu besoin de personne pour le trouver et le faire voir. Si l’on veut donc consulter les « sources » où Watteau a puisé, non pas ce qu’il a en commun avec les maîtres, mais ce qui lui est propre, il faut sortir du musée et regarder autour de soi. Le rémouleur qui passe, le musicien ambulant, leu marchand de fruits avec sa hotte, le charlatan, les mille gestes des petits métiers de plein air, nous ne les rencontrerons plus, si nombreux, ni si pittoresques, assurément, que de son temps. Mais partout encore, dans la rue, au marché, au cabaret, a l’auberge, chez la modiste, au magasin, au dancing, au casino, sur la plage, au concert, dans les coulisses, et tout particulièrement autour d’un tennis ou d’un golf ou encore sur la terrasse d’un château le soir, au crépuscule, au cours d’une garden-party,